28 septembre 1900
Naissance de Boris Yefimov, le plus célèbre caricaturiste de l’ère soviétique.
Au cours de sa vie, Yefimov connut la révolution, la guerre civile, le génocide, deux guerres mondiales, la guerre froide et un putsch. Encore enfant, il vit le dernier tsar, Nicolas II, et plus tard il rencontra Lénine. Il connaissait personnellement de nombreux révolutionnaires importants, dont Trotsky et Boukharine. Il assista dans la grande salle des colonnes de l’Union des Syndicats aux procès fabriqués qui détruisirent la vie de nombreux anciens collègues.
Pendant la seconde guerre mondiale, Yefimov découvrit par lui-même les horreurs des camps de concentration de Majdanek et de Treblinka en Pologne. Il se tenait en face des dirigeants nazis lors des procès de Nuremberg. Cinquante ans plus tard, il put regarder de la fenêtre de son appartement les tanks d’Eltsine tirer sur le parlement russe. Il vécut même assez longtemps pour voter pour Poutine.
Il aimait rappeler qu’alors qu’il prenait les ordres de Staline sa chance faillit le trahir: « Le téléphone a sonné. Je l’ai pris et entendu: » Veuillez garder la ligne. Le camarade Staline va bientôt vous parler » On était en 1947 et c’était le début de la guerre froide.
Bien qu’ayant servi pendant des décennies comme loyal propagandiste dans le journal moscovite Izvestia, Yefimov vivait maintenant dans la peur quotidienne des appels téléphoniques de l’homme qu’il en était venu à appeler « Vozhd » (le patron).
Staline avait un empire à diriger, mais cela ne l’empêchait pas d’intervenir dans le moindre des problèmes. Le chef du Parti communiste voyait dans les caricatures politiques une forme efficace de propagande et téléphonait souvent aux bureaux des journaux pour leur suggérer des thèmes pour les dessins.
La veille, il avait demandé un dessin ridiculisant l’implantation de l’armée américaine dans l’Arctique. Mais Yefimov ne l’avait pas encore commencé. « Quelques secondes plus tard, j’ai entendu cette voix familière. Il ne m’a pas salué mais est allé droit au but. » Le dessin dont nous avons parlé hier, j’aimerais le voir à six heures aujourd’hui. Il était déjà trois heures et demie, je me suis dit: «Je suis mort». Faire tout ce qui restait à faire en deux heures et demie était impossible. «
Yefimov se débrouilla néanmoins pour finir le dessin, juste au moment où le coursier arrivait pour le récupérer. Mais quelques jours plus tard, alors qu’il était convoqué au siège du parti, il y avait une autre surprise en réserve: le dirigeant soviétique avait trouvé le temps de réécrire la légende du dessin.
Pendant plus d’un demi-siècle, l’oeuvre corrigée fut suspendue dans une alcôve de l’appartement de Yefimov, au bord du fleuve, le gribouillage de Staline, tracé au crayon rouge, visible au-dessus de l’écriture originale du dessinateur.
Boris Yefimov était né Boris Fridland à Kiev le 28 septembre 1900, deuxième fils d’un cordonnier juif. Quelques années plus tard, la famille déménagea à Bialystok (maintenant en Pologne) et c’est là que Boris grandit. Dans un de ses premiers souvenirs de la vie sous le tsar, il se tenait à côté de son père au coin d’une rue dans leur ville natale à regarder la famille royale passer dans un carrosse.
À l’école, Fridland se morfondait dans les classes de dessin formelles, mais chez lui, il dessinait constamment, copiant souvent des caricatures dans les journaux satiriques pré-révolutionnaires russes. En 1916, son premier dessin publié parut dans le prestigieux magazine illustré Solntse Rossii (Le soleil de Russie).
Peu après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, les forces allemandes marchèrent sur Bialystok et la famille Fridland s’enfuit. De retour à Kiev avec ses parents, Boris entra à l’école d’art de Kharkov où il étudia pendant les années tumultueuses qui virent l’abdication du tsar et le début de la révolution. Après avoir quitté l’école d’art, il retourna dans la capitale ukrainienne où il décida d’étudier le droit.
Les études de Yefimov prirent fin avec le déclenchement de la guerre civile. Kiev était en proie à une lutte de pouvoir sauvage alors que plusieurs armées – des combinaisons variées de bolcheviks, de monarchistes, de nationalistes, d’Allemands et de Polonais – se battaient pour le contrôle de la ville. Lorsque les révolutionnaires prirent finalement le pouvoir, Boris et son frère aîné, Mikhail, décidèrent qu’il serait sage d’abandonner leur nom de famille à consonance juive. Boris prit Yefimov, d’après le prénom de son père, Yefim; Mikhail choisit Koltsov.
En 1922, Boris quitta Kiev et s’installa à Moscou sur les conseils de Mikhail, déjà journaliste couronné de succès. Bientôt, un dessin que Yefimov avait soumis à Nikolaï Boukharine, rédacteur en chef de la Pravda, fut publié. La même année, il rejoignit les Izvestia et au bout de quelques mois, il dessinait régulièrement les élites du Parti communiste. Au début des années 1920, Trotsky était reconnu comme l’orateur le plus impressionnant parmi les leaders de la révolution et les caricatures de Yefimov étaient suffisamment amicales pour encourager Trotsky à écrire une préface au premier volume de caricatures du jeune homme publié en 1924. Juste une décennie plus tard, il se trouva dépeindre Trotsky sous un jour différent, comme ennemi du peuple, au cours des procès à grand spectacle de Staline.
A présent, le travail de Yefimov était demandé. Mais après l’arrivée de Staline à la tête du Parti communiste, toute association avec Trotsky était devenue suspecte. Lorsque son frère Mikhail fut arrêté à son retour de la couverture de la guerre d’Espagne pour la Pravda, Yefimov était certain qu’il serait le suivant et avait préparé une valise en prévision de sa détention. Mais l’arrestation n’eut jamais lieu, peut-être parce que le dictateur estimait que les dessins de Yefimov – désormais connus dans toute l’Union soviétique – étaient trop précieux pour le régime.
Lorsque Hitler et Staline découpèrent l’Europe de l’Est en vertu du pacte Molotov-Ribbentrop de 1939, Yefimov dessina une carte avec des flèches rouges pour marquer l’avancée soviétique vers l’ouest. Sur le côté de la carte, des politiciens alliés de premier plan étaient représentés, effrayés et en colère – Neville Chamberlain levant une jambe en pantalon rayé pour taper son pied de colère. Chamberlain fit un jour une référence outrée au dessin de Yefimov dans une note officielle au gouvernement soviétique; le caricaturiste prit cela comme un compliment, venant d’un ennemi de classe.
Après qu’Hitler eut envahi l’Union soviétique, Yefimov effectua le saut périlleux requis, en devenant le principal caricaturiste de la Grande Guerre Patriotique.
Un dessin mémorable représente Goering avec Goebbels comme un singe sur son dos, ainsi qu’Hitler brandissant un fouet dans un char attelé à Mussolini, à l’amiral Horthy et aux autres.
Le Führer était tellement enragé par les dessins de Yefimov qu’il avait juré de l’exécuter après avoir capturé Moscou. Yefimov aurait fait remarquer qu’il préférait affronter un Hitler en colère plutôt qu’un Staline en colère. Yefimov combattit sur le front de Moscou, obtenant une médaille pour la défense de la ville.
En 1944, il se rendit à Varsovie avec l’écrivain Vasily Grossman et les deux hommes se rendirent vite compte que c’était pour des raisons politiques et non militaires que Staline avait décidé de ne pas donner l’assaut à la ville.
Plus tard, ils découvrirent les camps de concentration de Majdanek et de Treblinka, une expérience qui restait dans l’esprit de Yefimov alors qu’il dessinait ses brillantes esquisses de la hiérarchie nazie lors des procès de Nuremberg.
Après la guerre, il ne fallut pas longtemps à Yefimov pour ridiculiser les ex-alliés de l’Union soviétique: Churchill était représenté en train de regarder dans un miroir et de voir le reflet d’Hitler. Le président Truman était montré en train d’escorter deux demoiselles de la nuit, dont l’une était le général Franco, en robe de danseuse de flamenco couverte de croix gammées.
Yefimov continua à travailler pour la Pravda. Finalement pourtant, il vit le système communiste se desagréger et l’Union soviétique elle-même disparaître.
Il réagit avec des sentiments mitigés, appréciant les nouvelles libertés pour les artistes, mais estimant que la nouvelle génération de dessinateurs russes était incapable de trouver des cibles claires pour leur satire; les dessins ne pouvaient plus simplement viser les ennemis du pouvoir soviétique.
Yefimov continua à travailler jusqu’à sa mort et l’année de son 107e anniversaire, il reçut le titre d’artiste en chef des Izvestia.
Sa survie, physique et professionnelle, fut remarquable. En 1998, il déclara: « Parfois, j’ai du faire des choses qui allaient à l’encontre de mes convictions. Mais je pensais que ceux qui étaient au sommet connaissaient mieux la politique que moi. Plus tard, j’ai compris que quelles qu’aient été mes objections, ils m’auraient écarté comme une sorte de pion. «
Son frère, immortalisé par Hemingway sous le nom de Karkov dans « Pour qui sonne le glas », fut exécuté en 1940, bien qu’il ait été le journaliste préféré de Staline pendant la guerre civile espagnole.
Boris Yefimov mourut le 1er octobre 2008 à Moscou, à l’âge de 108 ans, sans doute alors le plus vieux Juif du monde.
(Source:: The Telegraph)
