Ephéméride | Joseph Reinach [30 Septembre]

30 septembre 1856

Naissance à Paris de Joseph Reinach, premier député dreyfusard.

Fils d’un banquier d’origine allemande, il fait ses études au lycée Condorcet avant de s’inscrire à la faculté de droit. Il devient avocat et est admis au barreau de Paris en 1877.
Il est également le petit-cousin et gendre du banquier Jacques de Reinach qui organisa la corruption de la presse et du personnel politique qui débouchera sur le scandale de Panama.

Les articles de Reinach sur la politique étrangère dans la « Revue Bleue » sont remarqués par Léon Gambetta qui, devenu premier ministre en 1881, fait de Reinach son chef du cabinet.
Après la mort de Gambetta, Reinach devient rédacteur politique de « la République française ». Il est élu à la Chambre des députés en 1889 et réélu en 1893.
L’un des premiers à demander un nouveau procès pour le capitaine Dreyfus, Reinach est l’objet d’attaques acharnées de la part des antidreyfusards, perd son siège aux élections de 1898, et est renvoyé de l’armée dans laquelle il était un capitaine de réserve.

Après la réhabilitation de Dreyfus, Reinach est réintégré au Parlement, où il siège jusqu’à sa retraite en 1914.

La carrière politique hors du commun de Joseph Reinach se révèle en réalité plus qu’ambiguë : si sa face apparente consiste en un pouvoir incontestable qui lui confère durant plusieurs décennies une forte influence dans le personnel politique, sa face cachée le montre au contraire sans cesse aux prises avec un antisémitisme outrancier.

De toute cette époque agitée, il est incontestablement le personnage juif le plus violemment et le plus systématiquement attaqué dans la presse nationale et locale, au cours des meetings électoraux, dans les caricatures, les chansons et les pamphlets. Dès sa première campagne électorale à Digne, en juin 1889, il est obligé de constater dans « L’Écho des Alpes » qu’ «on lui reproche d’être né dans une religion qui n’est pas la religion catholique»; les calomnies et les injures ne cessent de fuser. Durant la campagne électorale de 1893, le rejet par le camp conservateur local prend une tournure absolue : pour le « Journal des Basses-Alpes », rien «ne justifie l’élection d’un candidat d’origine allemande, de religion juive, ignorant […] de nos mœurs, de nos habitudes, de nos besoins».

Quelques jours plus tard, le même quotidien publie une lettre ouverte adressée par deux paysans au ministre de l’Intérieur : «Vous savez sans doute, monsieur le Ministre, que nous sommes représentés par un député juif qui s’appelle Joseph Reinach. Il n’est pas de chez nous. […] Sans être des piliers d’église, nous faisons baptiser nos enfants, nous les envoyons à la messe et au catéchisme, nous leur faisons faire leur première communion, nous les marions à l’église et nous enterrons les nôtres en terre bénie, avec l’assistance d’un curé. Être représenté par un Juif, cela ne nous plaît guère.»

Si la République française, au nom de ses principes universalistes et en fonction même de sa conception de la citoyenneté, légitime entièrement la présence de députés et de sénateurs juifs au sein du personnel politique, la résistance d’une société demeurée catholique se fait sentir par un rejet qui emporte souvent d’un même mouvement la République et ses serviteurs non catholiques.(…)

Le rejet d’une République conçue comme trop universaliste et détachée du «pays réel» implique donc sans cesse celui des Juifs, presque toujours dépourvus de racines terriennes. Du coup, aux yeux d’un grand nombre, leur présence dans le personnel politique va apparaître comme tout aussi artificielle que la République qui leur a ouvert ses portes.

Contre Joseph Reinach, mais aussi contre la plupart des députés et sénateurs juifs, va se lever un violent antisémitisme politique. Ouvertement, dans les proclamations électorales les plus officielles, les concurrents de Joseph Reinach dénoncent son origine juive ou supposée étrangère; leurs professions de foi affichées sur les murs des écoles sont également remplies de haine: «C’est un Juif, gendre d’un des spoliateurs, qui se présente à vos suffrages», clame, à Digne, une affiche électorale de l’un de ses concurrents.

Au niveau national, cet antisémitisme politique redouble de violence d’autant plus que Joseph Reinach, le plus illustre des Juifs d’État, se trouve à chaque fois au cœur des fameuses «guerres franco-françaises» qui, de Panama à l’affaire Dreyfus, agitent cette époque.

Déjà du temps de Boulanger, des adversaires comme Déroulède le traitent de «petit Juif qui suffit à dégoûter des israélites», tandis que Rochefort voit en lui «un microbe»; d’autres le surnomment «Boule de Juif».

Avec le scandale de Panama auquel il se trouve involontairement mêlé à travers son propre beau-père -lequel, à la suite de la campagne féroce menée par « La Libre Parole », finit par se suicider -, Joseph Reinach est cette fois soudain plongé au cœur de la tempête. Face aux accusations de son rival qui avertit ses électeurs : «N’oubliez pas que c’est une bande juive qui a spolié la Compagnie de Panama. C’est un Juif, gendre de l’un des spoliateurs, qui se présente à vos suffrages», il perd son siège.

«A la voirie !» demande Morès. « La Diane », de son côté, construit un étonnant personnage, Youssouf, supposé incarner Joseph Reinach, et conte inlassablement par le menu ses redoutables méfaits. « La Croix », après avoir cru pouvoir annoncer son décès en avril 1888, soutient tranquillement que «M. Reinach ne mérite pas que la patrie française porte son deuil».

Comme plus tard Joseph Reinach s’engage sans aucune hésitation dans le camp dreyfusard dont il devient l’un des acteurs principaux, la prose antisémite d’Édouard Drumont atteint ses sommets; «Regardez ce petit Juif de Hambourg. Si son visage simiesque et son corps difforme porte tous les stigmates, toutes les tares de la race, son âme haineuse et gonflée de venin en résume mieux encore toute la malfaisance, tout le génie, funeste et pervers. […] Reinach est redevenu le maître. C’est lui qui règne et gouverne en France.»

Les caricatures qui le représentent à cette époque dans La « Libre Parole » ou « Le Pilori » méritent de figurer au panthéon de l’antisémitisme : jour après jour ou presque, sous les traits d’un singe ou de tout autre animal, l’adorateur de la République et l’ami intime de tous les partisans de ce régime rationaliste, apparaît comme un être pervers et veule, un petit Juif sorti tout droit du bazar, au type sémite accentué en trahissant les intérêts de la France et de son armée.

Tandis que « la Croix » dénonce son rôle dans la tentative de réhabilitation du capitaine Dreyfus, le procès intenté par la veuve du colonel Henry, accusé de complicité par Reinach dans les trahisons d’Esterhazy, suscite de la part de « La Libre Parole » un «appel aux braves gens» en vue d’une souscription qui lui permettrait de mener à bien son projet. Le fameux «monument Henry» des quinze mille souscripteurs est un mémorial de haine qui se déverse principalement contre Joseph Reinach: un donateur «voudrait caler ses roues avec la ciboule de Reinach», un autre «attend de voir Reinach à l’égout», sept officiers de Bretagne envoient de l’argent pour manifester leur colère «contre le cochon de Juif Reinach» tandis qu’un garçon boucher «sortirait volontiers les boyaux de Reinach ainsi qu’à sa sale bande de Juifs.

Drumont laisse éclater sa colère contre ce défenseur de Dreyfus : «Ce Reinach, dit-il, apparaît comme la personnification du faux Français. […] C’est vraiment le type du Juif allemand, du Juif d’invasion qui fera la stupéfaction de l’homme.»

A plusieurs reprises, durant les multiples étapes de l’Affaire, Joseph Reinach se trouve lui-même obligé, les armes à la main, de défendre son honneur en duel. Il est agressé physiquement par la foule qui hurle «mort aux Juifs! A bas Reinach !»

La colère antisémite continue longtemps à prendre Joseph Reinach comme bouc émissaire idéal: en 1908, Léon Daudet écrit encore : «Ce qu’il y a de curieux chez Reinach, c’est cette juxtaposition d’une bête de proie juive, ravageant pour la juiverie et d’un juriste libérâtre fleuri de toutes les niaiseries républicaines. La bête de proie donne la direction dans le sens du Talmud, contre les chrétiens; puis le juriste projette sur la haine ethnique un manteau de faux sens commun.»

Et, fidèle à lui-même, Léon Daudet estime toujours, en 1913, que «la trahison d’Alfred Dreyfus, mise en œuvre par Joseph Reinach […] fut le signe de la livraison de notre pays à une horde orientale.»

(Sources: Jewish Virtual Library et Pierre Birnbaum, « Les fous de la république: Histoire politique des Juifs d’État de Gambetta à Vichy »)