Ephéméride | Le maréchal Walther von Reichenau [10 Octobre]

10 octobre 1941

Dans son ordre du jour, le maréchal Walther von Reichenau donne instruction à ses troupes: « le soldat doit comprendre parfaitement la nécessité de l’expiation sévère mais juste des sous-humains juifs ». Contrairement à l’un des mythes entourant la Shoah, l’armée allemande fut une complice volontaire du massacre des Juifs.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’armée allemande contribua à la réalisation des ambitions raciales, politiques et territoriales du nazisme. Longtemps après la guerre, a persisté le mythe selon lequel la Wehrmacht n’avait pas été impliquée dans la Shoah ni les autres crimes liés à la politique génocidaire nazie. Cette croyance est fausse. L’armée allemande participa à de nombreux aspects de la Shoah: en soutenant Hitler, en recourant au travail forcé et en assassinant en masse des Juifs et d’autres groupes ciblés par les nazis.

La complicité de l’armée pas s’étendait seulement aux généraux et au haut-commandement, mais également à la base. En outre, la guerre et la politique génocidaire étaient inextricablement liées. L’armée allemande fut la plus complice du fait de sa présence sur le terrain dans les campagnes de l’Allemagne à l’est, mais toutes les branches y ont participé.

Les dirigeants de l’armée allemande, souvent conservateurs, virent au départ en Adolf Hitler un extrémiste et un parvenu en politique. Ils ne soutinrent pas sa tentative de coup d’Etat, le putsch de la brasserie en 1923. Ils ouvrirent le feu sur Hitler et ses collègues insurgés plutôt que de les rejoindre.

Cependant, les SA (Sturmabteilung), sous le contrôle d’Ernst Röhm, constituaient une menace pour l’armée. Röhm voulait que les SA remplacent l’armée professionnelle en tant qu’armée du peuple. En conséquence, en 1934, les chefs militaires acceptèrent de soutenir Hitler pour saper le pouvoir des SA et éliminer une grande partie de ses dirigeants, en échange de la garantie de leur statut d’organisation militaire nationale unique.
L’armée n’intervint pas le 30 juin 1934, lorsque les SS assassinèrent Röhm et de nombreux hauts responsables des SA. Ils assassinèrent également d’autres vieux ennemis avec lesquels le régime avait un compte à régler, comme le général Kurt von Schleicher, qui avait précédé Hitler au poste de chancelier. Cette purge est connue sous le nom de « Nuit des longs couteaux ».

Deux mois plus tard, l’armée modifia son serment de service. Dans la nouvelle version, les soldats juraient « obéissance inconditionnelle » au Führer personnellement plutôt qu’à la constitution allemande. En 1935, conformément à la loi raciale nazie, l’armée interdisait aux Juifs de rejoindre ses rangs. Ceux qui servaient déjà furent licenciés. En 1938, Hitler assuma le titre de commandant suprême de l’ensemble de l’armée allemande. Toutes ces mesures contribuèrent à consolider l’union entre Hitler et ses généraux.

Les officiers les plus haut gradés étaient des aristocrates ou issus de la classe moyenne supérieure. Bien qu’ils ne fussent pas toujours d’accord avec Hitler, ils trouvèrent un terrain d’entente qui leur permit de s’associer à lui.

D’abord, Hitler réussit à reconstruire l’armée allemande après les humiliantes réductions imposées par le Traité de Versailles après la Première Guerre mondiale. Ensuite, il promettait la possibilité de combattre leurs ennemis en France et en Union soviétique bolchévique. Enfin, de nombreux généraux reçurent de Hitler des pots-de-vin systématiques sous forme de salaire supplémentaire, de dons d’argent et même de dons de terres et de domaines.

Parallèlement, au fur et à mesure que l’armée allemande grandissait, elle devenait de plus en plus politisée et extrémiste de droite. Bien que les officiers supérieurs n’aient pas toujours été des nazis engagés, des soldats et des officiers plus jeunes entrèrent dans le service après avoir atteint leur majorité, sous l’emprise constante de la propagande du Troisième Reich.
Sur cette base, la Wehrmacht continua à endoctriner idéologiquement les troupes allemandes. Les journaux et les bulletins de l’armée, les films et les conférences des « officiers éducateurs » propageaient la propagande antisémite et soulignaient que l’Allemagne menait une guerre défensive contre les « judéo-bolcheviks » et les conspirateurs « ploutocratiques » désireux de détruire la civilisation européenne et d’asservir le peuple allemand.
S’il est impossible de généraliser complètement à propos d’une organisation de 17 millions d’hommes, l’armée allemande se montra de plus en plus disposée à soutenir les guerres d’agression et la politique génocidaire des dirigeants nazis.

La criminalité et la complicité de l’armée allemande dans la Shoah et d’autres crimes nazis connut une escalade manifeste lors de l’invasion de l’Union soviétique. Bien avant l’attaque, le haut commandement publia trois « ordonnances pénales » qui rejetaient explicitement les lois de la guerre et encourageaient les soldats à commettre des atrocités.

La première, la « décision relative à la juridiction », stipulait que les soldats ne seraient pas poursuivis pour des crimes commis en Union soviétique, contrairement à ce qu’ils risquaient ailleurs en Europe.

Deuxièmement, les soldats reçurent les « Directives pour le comportement des troupes » qui stipulaient que « cette guerre exigeait une action impitoyable et vigoureuse contre les agitateurs bolchéviques, les tireurs isolés, les saboteurs et les Juifs, ainsi que l’élimination inlassable de toute résistance active ou passive ». Les Juifs devinrent ainsi presque immédiatement une cible pour l’armée allemande.

Enfin, la « Directive sur les commissaires » ordonna que tous les commissaires politiques soviétiques capturés soient immédiatement exécutés. Les commissaires politiques étaient des responsables du Parti communiste soviétique qui supervisaient ses unités militaires et relevaient directement des chefs du parti. L’ordre était en violation directe des traités que l’Allemagne avait signés. Néanmoins, 90% des unités allemandes l’exécutèrent.

Une rafale d’ordonnances antisémites, anti-bolchéviques et brutales supplémentaires accompagnèrent ces trois ordonnances, créant une culture qui tolérait et encourageait les crimes de guerre. La guerre en Union soviétique ne devait pas être une guerre conventionnelle, mais une guerre d’anéantissement racial.

L’armée allemande rencontra pour la première fois les « Einsatzgruppen » en Pologne en 1939, à la consternation de certains généraux. Par exemple, en février 1940, Johannes Blaskowitz, commandant militaire allemand pour les territoires de l’Est, se plaignit de la politique d’extermination de quelque 10000 juifs et polonais par les SS qui, selon lui, aurait des conséquences néfastes pour l’Allemagne. Il fit valoir que de telles actions renforçaient la propagande ennemie sur les atrocités allemandes, unissaient Juifs et Polonais contre l’Allemagne, affaiblissaient le respect de la Wehrmacht et entraînaient une dépravation massive des Allemands. Il exhorta les autorités militaires à demander des comptes aux unités reconnues coupables d’avoir perpétré de tels actes meurtriers.

Afin d’éviter que de telles critiques ne surviennent à la suite de l’invasion de l’Union soviétique (opération Barbarossa), les SS et les chefs de l’armée élaborèrent auparavant un accord détaillé aux termes duquel l’armée fournirait un soutien logistique aux « Einsatzgruppen » dans le cadre de l’assassinat systématique de masse de 1,5 à 2 millions d’hommes, de femmes et d’enfants juifs. L’armée était parfaitement au courant des activités de ces unités par le biais d’officiers de liaison et de ses propres rapports.

Au-delà du simple soutien logistique, l’armée fut souvent directement impliquée dans la prise de décision et la mise en œuvre de meurtres de masse. À la suite de l’explosion de bombes par des agents soviétiques dans plusieurs bâtiments publics de Kiev, le commandant militaire allemand de la ville rencontra des représentants de la SS pour organiser l’assassinat des Juifs de Kiev.
Une entreprise de propagande de la Wehrmacht imprima et apposa plusieurs milliers d’affiches, exigeant que les Juifs se présentent pour être « réinstallés ». Les 29 et 30 septembre 1941, des unités SS et de la police allemande et leurs auxiliaires, placés sous la juridiction de « l’Einsatzgruppe C » », assassinèrent la population juive de Kiev à Babi Yar, un ravin situé au nord-ouest de la ville. Ce fut l’un des plus grands meurtres de masse commis à un endroit donné pendant la Seconde Guerre mondiale. Selon les rapports de « l’Einsatzgruppe » au siège, 33771 Juifs furent massacrés en deux jours.

Ailleurs en Union soviétique, l’armée allemande elle-même massacra activement des Juifs, souvent sous couvert de la guerre anti-partisane. L’assistance de l’armée était nécessaire, car les effectifs des « Einsatzgruppen » étaient tout simplement trop peu nombreux pour mener à bien le grand nombre de meurtres requis.
Des non-juifs comptèrent également parmi les victimes de nombreux meurtres, notamment des Roms, des handicapés et des commissaires soviétiques. De plus, comme les unités militaires arrivaient souvent les premières dans les régions nouvellement occupées, beaucoup étaient responsables de la création de ghettos et de la mise en œuvre des réglementations anti-juives telles que le travail forcé et le port de l’étoile jaune.

Outre sa complicité dans la Shoah, l’armée allemande porte la responsabilité principale de la mort en masse des prisonniers de guerre soviétiques capturés. Du fait de son succès militaire initial, l’armée allemande captura des millions de soldats soviétiques. En huit mois seulement, 2 millions de prisonniers de guerre soviétiques moururent sous la garde de l’Allemagne. C’est huit fois le nombre de victimes de combat américaines pour toute la guerre. Plus de prisonniers de guerre soviétiques moururent chaque jour durant l’été et l’automne de 1941 que de prisonniers de guerre britanniques et américains pendant toute la guerre.

Ces décès n’étaient pas le résultat d’une organisation médiocre et de ressources insuffisantes. Ils résultaient d’une politique intentionnelle, décidée avant l’invasion. Ces prisonniers de guerre ne bénéficiaient d’aucun abri contre la chaleur ou le froid, une nourriture insuffisante et peu de soins médicaux. Au total, on estime à 3,3 millions le nombre de soldats soviétiques morts en captivité.

Les unités de l’armée participèrent également au tri des prisonniers de guerre juifs et des commissaires dans les camps en vue de leur assassinat.

Au-delà de son rôle d’assistance au meurtre direct de Juifs et d’autres, l’armée allemande utilisa et profita du vol de biens appartenant à des Juifs et du recours au travail forcé à tous les niveaux. Par exemple, pendant l’hiver 1941, les Juifs de toute l’Europe de l’Est furent contraints de rendre leurs vêtements chauds pour être utilisés par des soldats allemands non préparés sur le front. De plus, la marine allemande utilisa les cheveux rasés des Juifs assassinés dans les centres de mise à mort pour doubler les bottes des sous-mariniers et fabriquer du feutre.

De la plus petite à la plus importante unité, l’armée utilisa le travail d’esclaves juifs pour poursuivre l’effort de guerre. Sur le terrain, les Juifs étaient forcés d’exécuter diverses tâches, du creusement de fossés antichars à la réparation de véhicules en passant par le déminage humain.
Dans les camps de concentration allemands, tels que Dora-Mittelbau, et dans les ghettos de la Pologne occupée par l’Allemagne, les Juifs travaillèrent pour l’industrie de l’armement. Leur travail servit à tout, de la confection d’uniformes aux obus d’artillerie en passant par les fameuses fusées V2. Sur le site de Dora, des milliers de prisonniers des camps de concentration moururent en creusant à la main d’immenses tunnels souterrains pour dissimuler l’usine aux attaques aériennes alliées.

Après le déclenchement de la guerre, le régime nazi durcit les politiques, lois et sanctions applicables aux civils et aux membres du personnel militaire accusés d’atteinte au moral, de sabotage ou d’espionnage. Hitler pensait que des mesures draconiennes empêcheraient l’Allemagne de vivre un nouveau novembre 1918, lorsque l’Allemagne impériale signa l’armistice mettant fin à la Première Guerre mondiale.
La Wehrmacht augmenta considérablement le nombre de tribunaux militaires chargés de juger de telles affaires, de moins de 300 en décembre 1939 à près de 700 en 1944. Les spécialistes estiment que les tribunaux militaires allemands prononcèrent quelque 33000 condamnations à mort de soldats et de civils. Au cours de la Première Guerre mondiale, l’armée allemande avait prononcé 150 condamnations à mort, dont seulement 48 furent exécutées.

À mesure que l’Allemagne nazie se dirigeait vers la défaite, le nombre de condamnations et de peines capitales augmenta. Des tribunaux spéciaux opérant sur le terrain furent créés en février 1945. Composés de responsables nazis, de policiers et/ou de militaires, ces tribunaux ne pouvaient rendre que deux verdicts, coupables ou non. Les verdicts de culpabilité étaient punis de la peine de mort. Les déserteurs, les responsables qui offraient de livrer leurs villes aux armées alliées en progression ou les civils qui critiquaient les mesures nazies étaient souvent été exécutés par pendaison ou par balle.

Tous les militaires ne furent pas d’accord avec la politique nazie. Certains protestèrent tandis que d’autres sauvèrent activement des Juifs. Alors que ces personnalités honorables constituaient une minorité statistiquement petite, elles démontraient qu’il était possible de résister et d’aider les Juifs, même au sein d’une structure armée disciplinée et autoritaire.

En outre, quelques officiers allemands de haut rang participèrent au complot infructueux d’assassinat de Hitler le 20 juillet 1944. Toutefois, cette tentative doit être considérée comme une tentative pour reprendre le contrôle de l’effort de guerre avant que l’Allemagne ne soit détruite plutôt que comme une tentative d’arrêter la Shoah. De fait, certains des conspirateurs étaient profondément impliqués Tous les militaires n’étaient pas d’accord avec la politique nazie. Certains ont protesté tandis que d’autres ont activement sauvé des Juifs. Alors que ces personnalités honorables constituaient une minorité statistiquement petite, elles ont démontré qu’il était possible de résister et d’aider les Juifs, même au sein d’une structure armée disciplinée et autoritaire.

En outre, quelques officiers allemands de haut rang ont participé au complot infructueux d’assassinat de Hitler le 20 juillet 1944. Toutefois, cet effort doit être considéré comme une tentative de reprendre le contrôle de l’effort de guerre avant que l’Allemagne ne soit détruite plutôt que comme une tentative d’arrêter la Shoah. De fait, certains des conspirateurs étaient profondément impliqués eux-mêmes dans la complicité de l’armée envers la Shoah.

Presque immédiatement après la fin de la guerre, le mythe s’instaura que l’armée allemande avait simplement combattu ses ennemis, y compris les Soviétiques, dans une guerre conventionnelle et n’était pas impliquée dans la Shoah ou d’autres politiques génocidaires. Cette légende commença dès Nuremberg, où la SS fut réputée être une organisation criminelle, mais pas l’armée. Seuls les membres du haut commandement furent jugés comme criminels de guerre.

En outre, les États-Unis, en quête d’expertise et de conseils pour lutter contre les nouveaux ennemis de la guerre froide contre Union soviétique, amenèrent de nombreux généraux et officiers allemands aux États-Unis. Ces hommes écrivirent des mémoires hautement aseptisés qui dissimulaient intentionnellement la profonde complicité de l’armée allemande dans la Shoah.

De plus, les poursuites judiciaires à l’encontre des militaires furent presque inexistantes dans l’Allemagne d’après-guerre. Même si les chercheurs commencèrent à démanteler le mythe, celui-ci resta largement répandu parmi le public allemand (et occidental).

L’une des premières attaques dans la sphère publique contre le mythe de la « Wehrmacht propre » eut lieu en 1995 avec l’exposition « La guerre d’anéantissement: Les crimes de la Wehrmacht de 1941 à 1944 », ouverte à Hambourg en mars 1995.
L’exposition, qui parcouru finalement 33 villes allemandes et autrichiennes, démontrait de manière saisissante à quel point l’armée avait été impliquée dans la Shoah. Une seconde exposition mise à jour, intitulée « Les crimes de la Wehrmacht allemande: dimensions d’une guerre d’annihilation de 1941 à 1944 », suivit en 2001.

Les recherches continuent et montrent à quel point l’armée allemande participa volontairement et profondément à la Shoah. Ces recherches contribuent à démanteler le mythe de la « Wehrmacht propre ».

Source: « United States Holocaust Memorial Museum »