17 octobre 1920
Naissance de Clara Bagelman, une des deux Barry Sisters.
Il était une fois un Juif appelé Bagelman. Il tenait son nom de famille de son métier et vivait dans le quartier de Podol à Kiev. Notre Juif exerçait en effet eu la même activité que ses ancêtres depuis des siècles. C’était un « bublitchnik », c’est-à-dire que si on voulait goûter au meilleur bagel de la ville,on n’avait pas le choix, il fallait se rendre à la boulangerie Bagelman.
Il était aussi une fois, et au même endroit, un autre Juif – Jacob Petrovitch Davidov. Il vivait également quelque part dans ce même quartier de Podol et il maîtrisait tous les genres journalistiques connus: des critiques politiques, aux satires, aux blagues et aux chansons. En 1926, il écrivit la chanson « bublitchki », qui fut immédiatement transmise en Amérique. Là, elle fut traduite en yiddish et acquis soudain un sens et un caractère sentimental totalement différents.
Pendant ce temps, à la recherche d’une vie meilleure, l’un des fils de Bagelman s’enfuit de Kiev en proie à des troubles politiques. Il trouva son « coin » et une femme dans le quartier juif de Manhattan, où la population majoritaire était d’origine russe. Des années plus tard, notre Bagelman devint le grand-père de deux petites-filles adorables – Klara et Minnie Bagelman.
Dans la famille on parlait seulement en yiddish. On n’avait pas besoin de connaître d’autres langues dans le Lower East Side de Manhattan. Un jour, à la radio juive, la petite Klara entendit une chanson facile à retenir, appelée « Beigelak » (ou « bublitchki »). Elle était exécuté par des enfants. La mère de Klara l’entendit aussi et pensa comme toute bonne mère juive: « Est-ce que mes filles ont moins de talent? » Elle attrapa Klara sous le bras et l’emmena à la radio juive.
Les débuts de la petite Klara Bejgelman avec « Papirossen » ne furent que la première étape des débuts d’un duo de jazz de renommée mondiale. Il y eut une longue histoire entre les deux, mais leur mère était toujours le moteur infatigable, qui inspirait, encourageait et soutenait.
Plus tard, les sœurs changèrent leurs noms pour des noms plus « américains ». Klara devint Clare, Minnie changea pour Merna. Le célèbre « Barry » fut trouvé par Minnie.
« Nos noms ne nous ont pas gênées » – raconta Clare. « Jamais gênées. C’était simplement mieux pour le show business. Nous connaissions tellement d’artistes qui l’avaient fait à l’époque que nous pensions qu’il ne s’agissait que d’une bonne décision commerciale. Ce n’était pas du tout une question de culture, juste du business. »
Les sœurs Barry ne reçurent jamais aucune éducation musicale particulière. Selon les souvenirs de Clare, l’idée géniale de la manière de les faire chanter en duo vint d’Abe Elstein, un musicien et compositeur de talent. Quasiment à leur première rencontre, il dit:
« Oh, j’ai une idée! Laissons Claire chanter la mélodie, car elle a une voix plus haute, et Merna prendra l’harmonie ».
« Les gens nous disaient que nous avions une harmonie parfaite, racontait Clare. Mais pour être honnête, nous ne savions pas ce que signifiait l’harmonie! Nous n’avions eu aucune formation, aucune scolarité dans ce genre de chose. Il y a un mot yiddish « bashert », qui veut dire « destiné ». Je dis toujours que c’était notre destin que nous chantions comme ça. »
Les sœurs devinrent populaires dans les années 1940-1960 par l’émission radiophonique de New York « Yiddish Melodies in Swing », où elles chantaient des enregistrements de jazz en yiddish. Elles allaient aussi enregistrer des chansons populaires en yiddish, telles que « Rain Drops Keep Falling on My Head ».
Tout cela devint possible après qu’elles eurent été remarquées par l’animateur Ed Sullivan qui les présenta dans son émission « The Ed Sullivan Show ». C’est lui qui les introduisit dans le monde de la grande chanson populaire et du jazz et créa le duo professionnel.
Dans le répertoire des Sisters, il y avait des chansons en hébreu, yiddish, anglais, espagnol et russe. Elles créèrent leur style unique et acquirent une popularité mondiale grâce à la combinaison étonnante de deux voix totalement différentes. La voix basse, douce et veloutée de Clare – la voix haute, sonore et pure de Merna.
Les chansons interprétées par les Barry Sisters étaient simples et faciles à comprendre, pas seulement par un auditeur juif. Les mélodies jazzy dans la communauté juive des petites villes ravivaient la nostalgie pour la tradition juive, pour la langue des grands-mères et des grands-pères.
Les Juifs de langue russe avaient vraiment un amour particulier pour les Sisters. Ils eurent même le bonheur d’écouter des Juifs étrangers vivants, en plus de chanter en yiddish. Ce fut à l’ouverture de l’exposition américaine en 1959 à Moscou. A cette occasion, il fut décidé d’organiser un grand concert dans le parc Gorki. La chanson « Bublitchki » était revenue en Russie, interprétée par le fabuleux duo. Les gens ne les laissèrent pas quitter la scène lorsque les sœurs annoncèrent de manière synchrone au micro: « Otchi Thornye ». Le public se leva d’un bond et sombra dans l’extase. Cette romance russe bien connue avait acquise par l’arrangement jazz d’Abram Elshtejnune une sonorité entièrement nouvelle et devint le « tube » du monde musical. Le premier vers était exécuté en russe.
Les Barry Sisters enregistrèrent leur onzième et dernier album en 1973.
Le 31 octobre 1976, Merna mourut d’un cancer et le duo cessa d’exister.
Clare lui survécut jusqu’au 22 novembre 2014.
A chaque fois qu’on lui demandait ce qu’elle pensait de leur vie, elle se disait reconnaissante envers sa mère et envers Dieu: « Quand je repense à cette musique, tout ce que je veux dire, c’est mon Dieu, merci de nous avoir donné cette possibilité. Quelle belle possibilité… ”
Les sœurs Barry furent de celles qui donnèrent au monde juif ashkénaze et au-delà, joie, bonheur et sourire à travers les larmes. Ils transmettaient au public une énergie lumineuse et positive. Et même si le yiddish, la langue qu’elles essayaient de faire revivre, s’est estompé de l’usage quotidien, la culture yiddish est toujours vivante. Leur exemple inspire toujours de nouveaux artistes talentueux et créatifs, désireux de partager leur chaleur et leur amour de ce monde merveilleux qu’on dit disparu mais qui respire toujours.
Le concert de cette semaine sur Radio Yiddish Pour Tous leur est consacré (aujourd’hui à 17h), et le concert de gala de YPT « Music-hall yiddish en farandole », le 11 décembre prochain à l’auditorium de l’Espace Rachi, mettra ses pas dans les leurs.
