26 octobre 1930
Décès à Lausanne de Waldemar Mordekhai Wolff Haffkine, pionnier de la vaccination contre le choléra et la peste bubonique.
En marchant le long d’une allée du cimetière juif de Prilly (Lausanne) on rencontre une tombe sur laquelle est gravé un nom à la sonorité un peu inhabituelle en terre helvétique: Waldemar Mordekhaï Haffkine.
Etrange et singulier parcours que celui de ce scientifique qui commence à contre-courant du mouvement intellectuel qui agite le peuple juif à son époque. Alors que les 18e et 19e siècles sont le théâtre d’un abandon progressif du judaïsme traditionnel au profit de la « Haskala », le jeune Waldemar M. Haffkine va opérer une démarche inverse. Né en 1860 à Odessa dans une famille “fervente” de la « Aufklärung », le jeune homme, presque totalement assimilé, va s’intéresser très tôt à ses racines juives et va aller à la rencontre progressive d’une tradition pleinement assumée.
Brillant élève, il se destine à la biologie et trouve sur son chemin Elie Metchnikov, qui le prend sous son aile et deviendra plus tard une sommité mondiale récompensé par le prix Nobel de médecine pour sa découverte des mécanismes de défense immunitaire contre les bactéries au moyen des globules blancs.
Sa quête d’identité juive va très tôt le pousser à se mobiliser en faveur des Juifs victimes de pogroms en Russie et il sera même emprisonné pour port d’armes illégal. Renvoyé de l’université puis réintégré, il est sommé de se convertir au christianisme orthodoxe comme condition pour pouvoir achever son diplôme. Waldemar M. Haffkine refuse cette compromission et décide alors de quitter la Russie. Il rejoint Genève où étudient déjà d’autres réfugiés juifs d’Europe de l’Est.
Un an plus tard il monte à Paris, où l’a devancé le Dr. Metchnikov, et se fait rapidement remarquer par Louis Pasteur. Là-aussi, son identité juive s’exprime fièrement: « Je suis juif » répond-il instinctivement au célèbre scientifique français qui lui demande sa nationalité. Signe supplémentaire de ce contre-courant à une époque où les Juifs préféraient cacher leur judéité au profit de leur citoyenneté.
Non seulement il arbore fièrement sa judéité mais il est sympathisant du mouvement sioniste qui est pleine naissance et fréquente à Paris le mouvement des Hovevei Tsion, les Amants de Sion, fondé dans sa ville natale Odessa par Léo Pinsker en 1881. Plus tard, il se distanciera même du sionisme herzlien, le considérant trop « laïcisant ».
A l’Institut Pasteur, Waldemar Mordekhaï Haffkine se donne entièrement à la bactériologie, science en vogue à cette époque. Il cherche – et réussit – à trouver un vaccin contre le choléra.
Pour expérimenter sa découverte sur un large échantillon il part pour l’Inde en 1893 – Calcutta d’abord, puis Bombay – où cette maladie fait des ravages à cette époque. Il y restera vingt-deux ans, obtenant des autorités les meilleures conditions pour y poursuivre ses recherches. Non seulement il arrive à juguler le choléra, mais il va également mettre au point un vaccin contre la peste à Bombay où les autorités indiennes l’ont envoyé en urgence en 1896.
Sa renommée devient internationale au point que l’on parle de haffkinisation ou encore de lymphe de Haffkine. Toujours jaloux de sa judéité il met un point d’honneur à exiger que son second prénom hébraïque Mordekhai soit toujours mentionné.
C’est durant cette longue période indienne qu’il va se lier d’amitié avec une famille qui va amplifier encore davantage sa quête d’identité. La célèbre famille Sassoon de Bombay, riches commerçants qui observent scrupuleusement les commandements de la Torah. De croyant il devient également pratiquant et milite pour le respect du Shabbat parmi les sujets britanniques juifs nombreux en Inde à cette époque.
La réputation de Waldemar M. Haffkine le propulse vers les sommets. Alors que près de quatre millions de personnes sont vaccinées, Waldemar M. Haffkine est nommé directeur du Laboratoire de recherche contre la peste à Bombay, rebaptisé Institut Haffkine dans les années 1920 et toujours actif en Inde a l’heure actuelle. La reine Victoria lui remet personnellement la plus haute distinction de l’Empire.
En 1902, un événement fâcheux vient cependant perturber sa carrière fulgurante. Dix-neuf habitants d’un petit village du Pendjab meurent du tétanos après avoir été vaccinés à partir de la même bouteille. Une véritable cabale aux relents antisémites se met alors en marche contre Waldemar M. Haffkine et malgré l’enquête qui prouvera que l’erreur était imputable au médecin local, sa carrière ne retrouvera plus jamais son éclat d’avant. Bien que blanchi, il sera remplacé à Bombay par son collaborateur écossais qui fut parmi ses détracteurs lors de l’éclatement de l’affaire.
Le bactériologue s’installe alors à Calcutta jusqu’à sa retraite en 1914. Il souhaite alors émigrer en Palestine après avoir reçu une proposition alléchante de l’Université hébraïque de Jérusalem. Mais avec le déclenchement de la 1ère Guerre mondiale qui a aussi des répercussions au Proche-Orient, il modifie ses plans et part pour les Etats-Unis où une nouvelle et importante page de sa vie va s’ouvrir.
De passage outre Atlantique, Waldemar M. Haffkine, retraité, ne veut et ne peut rester inactif. Il va entamer un nouveau combat qui associe son identité religieuse et ses connaissances scientifiques. Confronté pour la première fois aux mouvements juifs libéraux, il veut démontrer que Torah et sciences ne sont pas antagonistes. En 1916 il publie « Plea for Orthodoxy » (Plaidoyer pour l’Orthodoxie) qui sera traduit en français sous le titre « De la vitalité du Peuple juif » et publié en France en 1917.
L’idée maîtresse de l’ouvrage est que le développement de la science est intimement lié au monothéisme tel qu’il est véhiculé par le peuple juif. La science n’est pas opposée à la Torah, mais elle affirme au contraire sa vérité transcendante et l’Unité divine,
Vers la fin de la guerre il choisit de revenir en Europe et se retrouve à Boulogne-Billancourt. Infatigable militant de la cause juive, il va y entamer un combat sur plusieurs fronts: les Juifs d’Europe de l’Est qui subissent les pogroms, la vie juive et la pratique des mitsvot, les yeshivot d’Europe de l’Est qui se battent pour leur survie mais aussi les colonies agricoles qui se développent dans le Yishouv en Palestine.
Waldemar Mordekhaï Haffkine use de son prestige mondialement reconnu ainsi que de sa fortune provenant des royalties perçues pour ses vaccins pour soutenir les communautés juives en difficulté. Il prend la tête d’un lobby qui milite pour les droits des minorités juives d’Europe de l’Est, entre à l’Alliance Universelle dans l’espoir de lui insuffler un esprit plus traditionnel et achète des terres en Palestine. Malgré son âge et ses problèmes cardiaques il se rendra même en URSS en 1927 et y rencontrera officieusement le rabbi Yossef Itshak de Loubavitch afin de venir en aide autant que faire se peut à ces communautés qui ploient sous la dictature communiste.
La dernière partie de sa vie, Waldemar M. Haffkine la passera à Lausanne où il pourra accomplir le dernier projet qui lui tient tant à coeur: créer une fondation au profit des étudiants en yeshiva. Il y mènera une vie très simple afin de consacrer la quasi-totalité de sa fortune à ce projet auquel il consacrera ses dernières volontés testamentaires.
Waldemar M. Haffkine décède à Lausanne en 1930 et est enterré au cimetière de la communauté juive situé dans la commune adjacente de Prilly. La fondation qu’il a créée existe encore aujourd’hui, et un comité se réunit chaque année à Lausanne pour allouer des aides à des yeshivot principalement en Israël.
(Source: Waldemar Mordekhai Haffkine: 1860-1930 – Biographie intellectuelle)
Photo: Waldemar Mordecai Wolf Haffkine vaccinant une communauté indienne contre le choléra à Calcutta en mars 1894.
