Ephéméride | Jakob Eduard Polak [12 Novembre]

12 novembre 1818

Naissance à Gross Morzin (aujourd’hui Morina en république tchèque), de Jakob Eduard Polak, le médecin autrichien qui introduisit la médecine moderne en Iran.

Jakob Polak naquit dans une famille juive de Bohême, qui faisait partie alors de l’empire des Habsbourg. Il étudia la philosophie et la médecine à Prague et à Vienne où il obtint ses diplômes en médecine et en chirurgie et suivit une formation en obstétrique/gynécologie.
Après 1845, il travailla pendant un an à l’hôpital général de Vienne, puis pendant deux ans comme médecin d’entreprise dans une raffinerie de sucre à Klobauk, en Moravie. De 1848 à 1849, il fut de nouveau employé à l’Hôpital général de Vienne.

Sa vie prit une tournure inattendue quand, en 1851, un certain Jān Dāʾud Khan se rendit à Vienne pour recruter, à la demande du premier ministre de Perse, Amir Kabir, les enseignants du nouveau Dār al-fonun, le premier institut d’études supérieures du pays. Polak fut embauché comme professeur de médecine et de pharmacie avec un contrat initial de quatre ans en date du 10 août 1851.
Après un voyage ardu par Istanbul et l’Arménie, il arriva avec six collègues, dont l’officier d’artillerie et géographe August Křziž, le 24 novembre 1851 à Téhéran.

Leur arrivée coïncida avec la chute d’Amir Kabir et leur réception officielle fut plutôt fraiche, car personne ne se sentait responsable de leur présence. Ils ne furent pas considérés comme une délégation autrichienne officielle, puisqu’à cette époque, l’Autriche n’entretenait pas de relations diplomatiques avec la Perse. Les diplomates britanniques et français pour leur part, voyaient d’un mauvais oeil le recrutement d’étrangers non alliés pour le nouveau collège militaire. Cependant, malgré le changement de contexte politique, le Dār al-fonun fut inauguré un mois après l’arrivée de Polak et le travail commença.

À l’origine, le programme du Dār al-fonun était axé sur l’entraînement militaire et la médecine occidentale était incluse parce que les soins de santé à dispenser aux soldats étaient reconnus comme un aspect crucial de la guerre moderne. Une intervention chirurgicale sur site pouvait éviter aux soldats de mourir de blessures mineures sur le champ de bataille, et une hygiène et une quarantaine systématiques pouvaient éviter des épidémies de choléra dans les casernes. La tâche principale de Polak consista donc à former un nouveau type de médecins militaires sans contrarier les professionnels de santé établis.

Polak devint bientôt l’un des professeurs les plus appréciés du Dār al-Fonun. Au début, il enseigna en français avec l’aide d’un interprète. Mais bientôt, il fut en mesure d’enseigner en persan et écrivit même des manuels de médecine en persan. Bien qu’il n’ait pas eu beaucoup d’étudiants – il donne le nombre de 14 dans ses mémoires – ils obtinrent leur diplôme et sept d’entre eux poursuivirent leurs études de médecine à Paris.

Polak fut le premier en Iran à opérer régulièrement des patients inconscients et compta lui-même 158 opérations de calculs de la vessie. « L’enlèvement des calculs de la vessie a été généralisé par l’enseignement et les soins prodigués par le docteur Polak et, en un an, il a retiré lui-même 23 calculs, tandis qu’un seul patient est décédé et que le reste a recouvré la bonne santé », nota un rapport détaillé de 1852.

Polak fut aussi le premier médecin à avoir pratiqué une dissection en Iran. En 1854, il avait procédé à l’autopsie post mortem de son collègue autrichien Zatti afin de déterminer la raison de son décès. La dissection était considérée alors comme un sujet tabou et les étudiants hésitaient à étudier l’anatomie humaine. Cependant, Polak refusa de pratiquer la dissection à des fins d’enseignement sur des membres exécutés du mouvement Babi, ne voulant pas servir d’agent de profanation au service du gouvernement.

Polak fut le créateur de la terminologie médicale persane moderne. Parmi ses publications médicales les plus connues figurent les éditions lithographiées de son manuel d’anatomie (1854) et une introduction (1857) à la chirurgie et à l’ophtalmologie. Plusieurs manuscrits et impressions de ses très influentes conférences sur le choléra de 1852 existent encore.

Polak fut aussi, à bien des égards, un introducteur à la culture et à la civilisation iraniennes en Europe. Il fit de nombreux voyages en Iran, poursuivant des investigations scientifiques dans les domaines de la géographie, de la géologie et de la botanique. L’héritage durable de ses neuf années de résidence est un rapport que son sous-titre qualifie d’esquisses ethnographiques.

L’ouvrage de Polak se distingue de l’essentiel de la littérature européenne de voyages sur l’Iran.
Il ne s’agit ni d’un simple récit de voyage ni d’une description académique impartiale de la Perse. Bien informé en raison de son accès à divers groupes sociaux et de son excellente connaissance du persan, Polak traite de nombreux sujets allant des caractéristiques du bain persan aux races de chevaux iraniens.

Les questions discutées comprennent: la nourriture et la cuisine; le vêtement; le sommeil et le sport; la vie familiale et la sexualité; les serviteurs et les esclaves; l’éducation et la culture; le droit et la religion; les cimetières; les célébrations du nouvel an persan; le gouvernement et la cour de Nāṣer-al-Din; les déplacements et infrastructures; la sécurité publique; l’industrie, le commerce et l’agriculture.

Cinq chapitres sont consacrés à des thèmes exclusivement médicaux. Polak décrit les différentes professions de santé, leurs revenus, leur statut et leurs méthodes de traitement, ainsi que les narcotiques, les poisons et les antidotes. Il fournit une liste encyclopédique des maladies courantes, suivie d’une section pratique sur les conseils de voyage pour les étrangers, abordant même les problèmes d’acculturation psychologiques.
Sa pratique médicale lui permit d’acquérir des connaissances uniques sur la société Qajar. Il note ainsi sobrement l’apparition d’une déchirure périnéale chez les filles résultant d’un mariage avant la puberté – on parlerait aujourd’hui de viol d’enfant.

Dans son livre sur la Perse, Polak fournit de nombreux détails sur la communauté juive, mais l’étude ne contient aucune information personnelle concernant sa propre identité juive. Dans les sources persanes contemporaines, il est unanimement identifié comme juif et donc délibérément placé dans le contexte historique des médecins juifs en Iran.
Très préoccupé par le sort des Juifs iraniens, Polak prit contact, après son retour à Vienne au début des années 1860, avec l’Alliance Israélite Universelle qui créa sa première école à Téhéran en 1898.

En janvier 1852, après la mort de Fortunato Casolani, un Maltais d’origine britannique qui exerçait les fonctions de superviseur général de tous les médecins militaires, Polak fut nommé à ce poste essentiellement honorifique.
Trois ans plus tard, il succéda à Louis-André-Ernest Cloquet comme médecin personnel du Shah d’Iran, Nâṣer-al-Din. Polak fit également fonction de précepteur du Shah auquel il enseignait le français, la géographie et l’histoire.
En 1860, Polak quitta l’Iran après neuf ans, selon ses propres mots, sans haine ni amour («sine odio et amore»).
Le résumé de sa dernière conversation avec le shah le 25 avril 1860, témoigne de son inquiétude pour son avenir professionnel ainsi que du désenchantement envers son employeur, même après avoir été décoré de l’Étoile du Lion et du Soleil de deuxième rang.

Après un séjour prolongé en Égypte, Polak rentra à Vienne. Il y pratiqua la médecine et se maria en 1862. De nouveau, il travailla à l’hôpital général, puis dans un sanatorium de la station thermale de Bad Ischl en Haute-Autriche. Mais il enseigna également le persan à l’Université de Vienne, fut conseiller auprès du ministère des Affaires étrangères et participa à des projets universitaires et culturels.

En 1882, il retourna brièvement en Iran pour une mission de recherche au cours de laquelle il rencontra également Nāṣer-al-Din. À son tour, celui-ci eut des rencontres avec Polak lors de ses voyages en Europe.
Le gouvernement des Habsbourg reconnut les services de Polak en le nommant «Ritter des Franz-Joseph Ordens» (Chevalier de l’Ordre de François-Joseph), et en lui attribuant la «Medaille für Wissenschaft und Kunst», tandis que la K.K. Geographische Gesellschaft en faisait un membre honoraire.

Polak mourut le 8 octobre 1891, à Vienne, d’une gangrène « sèche ».

(Source: Encyclopedia Iranica)