Ephéméride | Wilhelm Marr, l’inventeur du concept d’antisémitisme [16 Novembre]

16 novembre 1819

Naissance de Wilhelm Marr, l’inventeur du concept d’antisémitisme.

 

« Mon cher Wilhelm … si tu penses pouvoir nuire à un seul Juif avec cette arme, tu as perdu la boule. »

Julius Stettenheim, rédacteur en chef du journal Wespen.

Par définition, l’antisémitisme est l’hostilité ou les préjugés à l’égard des Juifs en tant que groupe religieux, ethnique ou racial. Cela peut aller de l’expression individuelle de la haine à une persécution violente institutionnalisée.

Wilhelm Marr était un théoricien et agitateur allemand qui inventa le terme « antisémitisme » comme euphémisme pour le « Judenhass » (haine des juifs) allemand.

Le XIXe siècle fut un siècle rempli de bouleversements politiques et de troubles sociaux en Allemagne. C’était une société prise entre la modernisation et la réaction.
Le summum du mécontentement social en Allemagne se manifesta pendant la révolution de 1848. De nouveaux mouvements politiques apparurent pendant cette période de réforme en Allemagne.
Les radicaux, ou Jacobins comme on les appelait, commencèrent à se rassembler dans des villes allemandes, des villes qui accueillaient et soutenaient des changements radicaux.
L’Allemagne, pays qui lutta tout au long des années 1800 pour unifier ses divers territoires, donna aussi naissance à un nouveau mouvement nationaliste au sein de sa population.
Le mouvement nationaliste atteignit son point culminant en même temps que le mécontentement social en 1848.

Cette année fut marquée par une révolution qui opposa les libéraux sociaux aux tenants du régime traditionnel dans les États allemands.
En 1848, la marmite allemande explosa: des révolutions éclatèrent ou alors des changements constitutionnels furent mis en œuvre dans tous les États allemands pour dissiper les craintes de révolution. L’Allemagne était en train de subir une refonte radicale de son système politique alimenté par le peuple, en particulier la classe bourgeoise.

Wilhelm Marr naquit le 16 novembre 1819 de Heinrich Marr et Katharina Henriette Becherer.
Son père Heinrich était un acteur très populaire dans toute l’Allemagne, ce qui obligeait Marr à changer d’école fréquemment.
Le grand-père de Marr, Johann Wilhelm, passa de nombreuses années avec son petit-fils et exerça sur lui une profonde influence. Fait intéressant, Wilhelm Marr ne nia jamais que son grand-père était juif, une religion que Marr méprisa par la suite.. Le père et le grand-père de Marr jouèrent un rôle crucial dans la formation de l’esprit de Marr pendant son enfance.

Trois aspects de sa vie l’ont, semble-t-il incité à développer une haine envers la population juive qui découlait de rivalités personnelles et de déceptions.

En 1873, Marr divorça de sa première épouse, Johanna Bertha, après plus de deux décennies de vie commune, afin de pouvoir épouser une autre femme. Le 26 février 1874, âgé de cinquante ans, il épousa Helene Behrend, une femme de trente-huit ans, une juive de pure race [Volljudin] dont le nom de jeune fille de la mère était Israël. C’est l’origine de la frustration de Marr envers le peuple juif. Marr a décrit dans ses mémoires que son mariage avec Behrend était rempli de malheur et qu’il était révélateur de ses relations futures avec les femmes. Ce fut l’origine d’un effet boule de neige qui conduisit finalement Marr sur le chemin de la haine.

Marr se maria deux autres fois, et ces mariages se terminèrent tous deux par des divorces amers. La dernière femme qu’il épousa, Jenni Kornick, était une écrivaine de renom à Hambourg. Cependant, ce mariage ne dura pas longtemps. Dès le début, la vie de Marr avec sa nouvelle femme fut extrêmement difficile. Il se sépara d’elle moins d’un an plus tard et divorça en 1877, deux ans après leur mariage. Il est évident que Marr se révéla incapable de maintenir longtemps une relation avec une femme juive, et la seule fois où il y parvint, avec sa première femme, il regretta de l’avoir épousée. Il écrit dans ses mémoires: « J’ai au moins appris à connaître la race sémitique de manière approfondie, dans ses détails les plus intimes, et je mets en garde contre le mélange de sang aryen et sémitique ».
Son dernier mariage fut coûteux, car un fils, Heinrich, était né. Marr fut donc obligé de subvenir aux besoins de son ex-femme. Il se maudit pour cette erreur qui lui imposa un fardeau financier.

Ces échecs incitèrent Marr à rechercher une relation satisfaisante ailleurs. Son aversion croissante pour les Juifs fut influencée par son expérience personnelle de trois mariages ratés. Ceux-ci eurent, sans aucun doute, un impact émotionnel sur Marr, auquel il dut faire face tout au long de la révolution allemande de 1848 et de sa carrière politique à Hambourg.

Ses mariages ratés ne furent pas les seules expériences qui le conduisirent à former des opinions anti-juives, au cours de cette période agitée. Les événements internationaux et politiques l’influencèrent également. Le radicalisme et le républicanisme de Marr furent le fondement de son image négative des Juifs.
A l’Assemblée constituante radicale de Hambourg, il déclara que « l’unité allemande était devenue la honte de l’Allemagne ». Marr fit valoir que « les Juifs sont un État dans l’État et préservent leur nationalité dans un ghetto, par le seul moyen de la religion, tout en souhaitent néanmoins avoir des droits égaux dans un État non juif.
Sa solution à ce problème consistait en une assimilation totale, qui entraînerait une véritable émancipation.
Malgré ses vues conservatrices, Marr était un homme politique intelligent, refusant initialement de prendre une position antisémite au cours de sa campagne pour obtenir un siège au parlement de Hambourg.
Bien qu’une partie importante de la population de Hambourg au cours des années 1800 fût juive. Marr réussit à obtenir un siège au parlement en 1861. C’est le pouvoir politique dont Marr avait besoin pour diffuser ses opinions sur les Juifs en utilisant la presse.

Les expériences personnelles de Marr lui donnaient des raisons de ne pas aimer les Juifs. Cependant, il avait encore besoin de mettre un pied dans la politique. Une fois que Marr eût été autorisé à participer au gouvernement de Hambourg, il fut en mesure de dévoiler ses idées sur les défauts au sein des communautés juives et sur le fait qu’elles étaient un fardeau pour l’Allemagne dans sa quête de grandeur.

Marr publia son premier livre antisémite, « Der Judenspiegel », (Le miroir juif ». C’était la plus grande attaque de Marr contre le peuple juif. En 1879, Marr écrivit un autre livre antisémite, « La victoire du judaïsme sur le germanisme ». Marr utilisa les publications comme une méthode pour toucher autant de lecteurs non juifs que possible. À ce stade de la carrière politique de Marr, sa renommée commença à diécliné rapidement. Sa position antisémite rencontrait une forte opposition de la population juive de Hambourg.

Outre le pouvoir politique de Marr, qui lui permit de diffuser les sinistres idéaux de l’antisémitisme, il fut influencé par d’autres Allemands. Le contemporain de Marr, Richard Wagner, fut l’une de ces influences.
Wagner était un compositeur, théoricien de la musique, chef d’orchestre et essayiste allemand influent. Wagner avait fréquemment accusé les Juifs, en particulier leurs musiciens, d’être des étrangers nuisibles à la culture allemande.
Bien que Wagner traita plus tard Marr de « superficiel » pour avoir renoncé à ses opinions antisémites, il motiva Marr à faire connaître le problème de l’Allemagne avec les Juifs. Selon Marr, ce problème se posa lorsque les Juifs hésitèrent à participer à la révolution de 1848.

Les grands esprits, dans l’ombre desquels l’âme et les pensées de Marr errèrent pendant ces années, furent Karl Marx, Ferdinand Lassalle, Richard Wagner et Johannes Scherr. Ces personnalités historiques abordaient déjà les problèmes de l’Allemagne avec des idées radicales qui attaquaient le système de gouvernement de l’époque de manière fondamentale.

Karl Marx, critique juif du système économique en place en Allemagne, joua également joué un rôle central dans les vues de Marr sur les Juifs. Parce que Marr avait vécu la révolution industrielle allemande, il commença à étudier le travail de Marx sur le capitalisme et la classe ouvrière. Le livre de Marx, « Das Kapital », parut dans une deuxième édition à Hambourg, où Marr eut un premier aperçu des idéaux marxistes.

Étonnamment, même si Marx était communiste, Marr refusa d’accepter le communisme de Marx, car il estimait que la force qui faisait bouger le monde était l’individualisme. Jeune adulte, Marr s’était intéressé aux écrits de Machiavel, philosophe politique, musicien et poète de la Renaissance italienne. Il commença à étudier les écrits de Machiavel et concentra son attention sur les « Discorsi », car le concept de « peuple » ou de « Volk » était ce qui l’intéressait le plus. Il reconnut plus tard que Machiavel lui avait appris à ne pas considérer le peuple comme un ensemble d’individus, mais comme un univers ayant son rythme et ses lois naturelles. Il est clair que ces auteurs contribuèrent à façonner et à guider les croyances de Marr.

Il est intéressant de noter que Wilhelm Marr rétracta par la suite ses vues antisémites.

Marr, l’homme qui avait introduit le terme « antisémitisme » dans la politique, tourna le dos à l’antisémitisme et devint le critique le plus virulent de ce mouvement.
Il rompit avec les antisémites, leur réprochant amèrement d’avoir trahi leurs propres idéaux en commercialisant le mouvement. Il qualifia sa manifestation dépravée d ‘«antisémitisme commercial» (Geschäftsantisemitismus) et conclut paradoxalement que l’antisémitisme organisé était devenu lui-même «juif».

Marr fut marginalisé en 1889 et ses collègues de la Ligue antisémite le rétrogradèrent à la septième place de la liste des fondateurs du mouvement antisémite.

Wilhelm Marr décéda le 17 juillet 1904. Rares sont ceux qui ont remarqué que Marr était mort dans la pauvreté et que les nazis, quand ils se souvenaient de lui, le qualifiaient de demi-juif et rejetaient sa position antisémite comme trompeuse et imprécise.
Richard Wagner et d’autres, tels que les membres de la ligue antisémite, répudièrent Marr en 1889. Il se retrouva seul et mourut dans l’indifférence.

Il eut beau avoir rejeté et condamné ses idés antisémites dans la dernière partie de sa vie, c’est son héritage comme inventeur de l’antisémitisme moderne qui resta fermement gravé dans la mémoire des futures générations allemandes.
Il influença le mouvement d’où est sorti le Troisième Reich.
En effet le concept de « race juive », quelle que soit son inanité scientifique, est, d’un point de vue « opérationnel » infiniment plus puissant que la definition des Juifs comme appartenant à une confession religieuse, à une catégorie sociale, ou à un peuple. Il permet d’exclure aussi bien le Juif traditionnel que le Juif assimilé, le shnorer barbu du shtetl que le banquier converti.

Marr a laissé derrière lui un ensemble de croyances qui ont été utilisées pour terroriser les Juifs allemands au XXe siècle après l’ascension d’Adolf Hitler. Des millions de Juifs furent assassinés dans des chambres à gaz ou tués lors d’exécutions massives, en partie à cause des vues initialement partagées par Wilhelm Marr, qui accusait les Juifs de perpétuer l’agitation politique, les troubles sociaux et les conflits économiques en Allemagne.

L’antisémitisme fut la réponse de Marr, qui ne fut pas oubliée, « au problème juif de l’Allemagne », c’est-à-dire, à ses yeux et aux yeux de ses successeurs, de tous les problèmes de l’Allemagne.