26 novembre 1903
Naissance à Prague d’Alice Herz-Sommer. A sa mort, à 110 ans, la pianiste spécialiste de Chopin était la plus vieille rescapée de la Shoah.
Au cours de ses deux années à Theresienstadt, à travers la faim, le froid et la mort qui l’entouraient, la perte de sa mère et de son mari, Alice Herz-Sommer fut soutenue par un Polonais décédé longtemps auparavant. Il s’appelait Frédéric Chopin.
C’est Chopin, disait Alice Herz-Sommer à la fin de sa longue vie, qui lui avait permis de survivre avec son jeune fils dans le camp de Terezin, que les nazis firent fonctionner dans la Tchécoslovaquie d’alors, entre 1941 et la fin de la guerre en Europe.
Mme Herz-Sommer, décédée à Londres le 23 février 2014 à 110 ans, et qui était considérée comme la plus ancienne survivante de l’Holocauste, avait été une pianiste distinguée en Europe avant la guerre. Mais c’est seulement après l’occupation nazie de sa patrie, la Tchécoslovaquie, en 1939, qu’elle entreprit une étude approfondie des Études de Chopin, un ensemble de 27 pièces solo qui comptent parmi les œuvres les plus exigeantes au plan technique et les plus passionnées au plan émotionnel du répertoire pour piano.
Pour elle, les Études offraient une diversion absorbante à un moment de péril constant. Mais elles lui donnèrent finalement beaucoup plus que cela – beaucoup plus, même, qu’une nourriture spirituelle.
« Elles sont très difficiles », déclara-t-elle au Sydney Morning Herald en 2010. « Je pensais que si j’apprenais à les jouer, ils me sauveraient la vie. »
Et elles le firent.
Au cours de ses dernières années, du fait de son grand âge, de son indomptabilité, de son engagement continu et ardent pour la musique (elle pratiquait pendant des heures chaque jour jusque peu de temps avant sa mort), et de ses souvenirs de ses amitiés juvéniles avec des titans comme Franz Kafka et Gustav Mahler, Alice Herz-Sommer était devenue un phare pour les écrivains, les cinéastes et les membres du public désireux d’apprendre son histoire.
Ce qui fascinait surtout, c’était son manque évident de rancoeur face à son expérience de la guerre. Dans les livres et les films sur elle, ainsi que dans une pléthore d’interviews de journaux et de magazines, elle exprimait sa joie sans faille de faire de la musique et, tout simplement, d’être vivante.
Elle n’était découragée, disait-elle, que par une seule chose.
« Je suis par nature un optimiste », avait-elle confié au journal britannique Observer en 2010. « Mais je suis pessimiste quant à la volonté des générations futures de se souvenir et de se soucier de ce qui est arrivé aux Juifs d’Europe, et à nous à Terezin. »
Alice Herz naquit à Prague le 26 novembre 1903, une des cinq enfants d’une famille juive cultivée, de langue allemande et laïque. Son père était un homme d’affaires prospère. sa mère fréquentait les cercles artistiques de la ville et comptait Kafka et Mahler parmi ses amis.
Enfant, Alice avait connu les deux hommes. Kafka (« un homme un peu étrange », se souvenait-elle) avait assisté à l’un des seders de Pessakh de la famille.
Alice commença ses cours de piano à 5 ans et à 16 ans, elle entreprit des études au conservatoire à Prague. À la fin de l’adolescence, elle donnait des concerts bien accueillis dans toute l’Europe.
En 1931, elle épousa Léopold Sommer, homme d’affaires et violoniste amateur. Le couple eut un fils, en 1937.
En 1939, devant l’invasion imminente des nazis, certains membres de la famille fuirent la Tchécoslovaquie pour la Palestine. Elle-même resta à Prague pour s’occuper de sa mère veuve et fragile.
La mère d’Alice fut déportée à Terezin en 1942 et envoyée de là dvers un camp de la mort, où elle fut tuée.
C’est après avoir accompagné sa mère au centre de déportation de Prague (« le point le plus bas de ma vie »), qu’elle décida de commencer à travailler les Études de Chopin.
En 1943, elle, son mari et leur fils furent envoyés à Terezin. En partie ghetto, en partie camp de concentration, Terezin, au nord-ouest de Prague, avait été promue par les nazis comme une institution modèle: bon nombre de ses détenus figuraient parmi les personnalités les plus en vue de Tchécoslovaquie dans le domaine des arts de la scène.
Terezin avait un orchestre, recruté parmi les détenus, qui jouaient littéralement contre la montre devant des auditoires de prisonniers et de leurs gardes nazis. Herz-Sommer, jouant sur le piano endommagé et désaccordé du camp, se joignit à eux.
« C’était de la propagande. Nous devions jouer parce que la Croix-Rouge venait trois fois par an. »
Mais pour Herz-Sommer, qui donna plus de 100 concerts à Terezin, le pouvoir de soutien de la musique n’en était pas moins réel.
« Ces concerts, les gens étaient assis là – des personnes âgées, désespérées et malades – et ils venaient aux concerts, et cette musique était pour eux notre nourriture», déclara-t-elle plus tard. « En faisant de la musique, nous nous sommes maintenus en vie. »
Terezin était un camp de transit. De là, les Juifs étaient déportés vers des camps de travaux forcés et la mort. Sur les quelque 140000 Juifs qui passèrent par Terezin, près de 90000 furent déportés vers une mort presque certaine. Quelque 33000 personnes sont mortes à Terezin même.
L’un des détenus déporté de Terezin était Léopold Sommer. En 1944, il fut envoyé à Auschwitz et à Dachau. Il y mourut probablement du typhus en 1945, un mois avant la libération.
La musique épargna à Mme Herz-Sommer un sort similaire. Une nuit, après avoir passé plus d’un an à Terezin, elle fut arrêtée par un jeune officier nazi.
« N’ayez pas peur, » dit-il. «Je veux seulement vous remercier pour vos concerts. Ils ont beaucoup compté pour moi.
Il se tourna pour partir avant d’ajouter: « Encore une chose. Vous et votre petit garçon ne serez sur aucune liste de déportation. Vous resterez à Theresienstadt jusqu’à la fin de la guerre. »
Après la guerre, Herz-Sommer revint à Prague avec Stepan, mais trouva son antisémitisme déclaré intolérable. En 1949, ils émigrèrent en Israël, où elle enseigna pendant de nombreuses années à l’Académie de musique Rubin, aujourd’hui l’Académie de musique et de danse de Jérusalem.
Au milieu des années 1980, elle s’installa à Londres, où son fils, un éminent violoncelliste connu depuis le début de son séjour en Israël sous le nom de Raphael Sommer, fit carrière.
Après la mort de son fils d’un anévrisme en 2001, à 64 ans, la musique fut de nouveau son soutien. Ses voisins de son immeuble londonien, surent qu’elle avait surmonté le choc en l’entendant s’entraîner à nouveau.
Quelques années avant sa mort, alors que l’âge lui avait immobilisé un doigt de chaque main, elle avait retravaillé sa technique pour pouvoir jouer à huit doigts.
Mais même si ses mains étaient défaillantes, son sens aigu de la musique restait vif. En novembre, à l’occasion de son 110e anniversaire, Alex Ross, critique musical du New Yorker, écrivit sur le blog culturel du magazine qu’il lui avait rendu visite à Londres l’année précédente.
Comme elle pouvait trouver les journalistes fatigants, Ross,sur le conseil de sa biographe, Mme Stoessinger, s’était présenté comme musicien.
« Jouez quelque chose », lui avait ordonné Alice.
Ross, à son piano, erra maladroitement dans certain Schubert avant que Mme Herz-Sommer ne l’arrête.
« Maintenant, dit-elle, dites-moi votre vrai métier. »
