Ephéméride | Marcel Dalio [23 Novembre]

23 novembre 1899

Naissance à Paris de Marcel, Benoit Blauschild, dit Marcel Dalio, le traître numéro un du cinéma français.

Isaac Moyshe Blauschild est né à Paris en 1899. Fils d’un immigré juif qui avait fui les pogroms d’Odessa et de Sarah Cerf dans le père tenait une épicerie rue des Rosiers, le futur Dalio mène « la vie du ghetto » parlant « un dialecte étrange composé d’allemand, de français, de yiddish, de russe ».

En 1915, il est reçu au conservatoire mais très vite il part pour le front: il rentrera en mai 1919, décoré de la Croix de guerre avec deux citations. Il décroche des petits rôles dans des revues minable au Little Palace mais rencontre Pierre Brasseur qui restera l’ami de toute une vie. Il court le cachet jusqu’au jour où il obtient son premier vrai rôle dans « Les Tricheurs » de Steve Passeur mise en scène par Dullin à l’Atelier: il joue un financier juif:

« Le rôle était énorme. A cette époque il n’y avait pas (ou peu) d’acteurs juifs au théâtre. Moi, je l’étais, avec tous mes excès et toute ma sensibilité. Je payais comptant, mon chagrin était vrai. J’apportais au personnage mon enfance, mais désirs, mes ambitions. Et Passeur l’avait bien senti qui avait passé des mois à me guetter avant d’écrire le rôle. »

Ce rôle nourri de tous les poncifs antisémites lui collera à la peau. Sans même s’en rendre compte, Dalio – il avouera que jusqu’à la guerre, il avait « oublié qu’il était juif » – endossera le costume du Juif caricatural taillé sur-mesure par des auteurs et metteurs en scène sans grande imagination ou qui répondent au goût du public.

L’histoire du « Corsaire » de Marcel Achard mis en scène par Jouvet en 1938 en fournit un exemple édifiant. Jouvet n’arrive pas à trouver un acteur convaincant pour le rôle du producteur; le bout d’essai avec Alfred Adam puis avec Dalio ne le satisfait pas: ils ne sont pas assez comiques. C’est alors que Dalio suggère d’imiter l’accent de son père: « A Paris, tous nos producteurs sont étrangers. Pourquoi ne pas le faire parler avec un accent? » L’idée s’avère excellente: « Je ne peux pas dire un mot sans faire un effet. Tout porte, Jouvet est ravi. »

Dans une France qui voit avec inquiétude arriver les vagues d’immigrés juifs allemands (le journaliste Serge Weber écrit sous le titre « Le cinéma français aux Français »: « Entrez, entrez, envahissez-nous, il y a de la place pour tout le monde. Je sais très bien qu’il est humain d’accueillir ces diables d’émigrés et qu’on ne peut leur en vouloir de chercher à se caser. Mais, bon sang, casons d’abord les Français; » la caricature du producteur juif parlant avec l’accent yiddish ne peux que réjouir le public.
« La salle est pleine à craquer tous les soirs. »

Dalio n’est néanmoins pas tout à fait dupe de l’antisémitisme ambiant: « Ce bon Rocher! Il était le ces gens qui ne parlent jamais des Juifs, mais des Israélites, c’est plus correct, n’est-ce pas, on ne prononce pas le mot fatal et on peut tout de même laisser deviner ses sentiments. »

Mais ce sont Bardèche et Brasillach, qui, dans « L’Action française » expriment encore le mieux ce que certains disent tout bas: « un Dalio étonnant, plus juif que jamais, à la fois attirant et sordide, derrière tout cela, comme un ibis bossu au milieiu des marécages: lui est un homme d’une autre planète, non seulement étrange, mais étranger à cette règle du jeu qui en vérité n’est pas la sienne. Une autre odeur monte en lui du fond des âges, une autre race qui ne chasse pas, qui n’a pas de château, pour qui la Sologne n’est rien et qui regarde. Jamais peut-être l’étrangeté du Juif n’avait été aussi fortement aussi brutalement montrée. »

Le film de Jean Renoir « La Règle du jeu » – qui n’a pas eu de succès à sa sortie – va pourtant permettre à Dalio d’entamer une carrière aux États-Unis. Car au printemps 1940, Dalio va vraiment se « sentir Juif » et émigrer.

A Hollywood il deviendra le « frenchy » préféré des plus grandes stars américaines tandis qu’en France sa famille, déportée, mourra à Auschwitz et que son ami d’enfance Pasquali rejoue les scènes de « Entrée des artistes » (ou Dalio apparaissait) pour « aryaniser » le film. Roger Blin, pressenti pour cette mauvaise action s’y était refusé…

Revenu à Paris après la guerre, les metteurs en scène rivalisent d’imagination pour lui offrir des rôles… de Juifs: Claude Berri pour « Mazeltov » – mais le film finalement se tournera sans lui – et Gérard Oury pour le rôle titre de « Rabbi Jacob ».

A 75 ans, Dalio entame une nouvelle carrière d’acteur dans les pornos: « des vieillards libidineux aux noms pas très français »…

Les stéréotypes ont la vie dure. Si, pour les Américains, Dalio incarne la France – à Hollywood, j’ai été plus français que je ne le serai jamais » -, pour les Français, il ne jouera jamais autre chose que le Juif.

Dalio est retrouvé mort dans son appartement du 16e arrondissement, le 19 novembre 1983, son décès ayant sans doute eu lieu entre le 15 et le 18. Il est enterré au cimetière parisien de Bagneux, dans la 106e division.

(Sources: Chantal Meyer-Plantureux, « Les Enfants de Shylock ou l’antisémitisme sur scène; Marcel Dalio, « Mes Années folles »)