Ephéméride | Huitième bougie de Khanike [9 Décembre]

Rosh khodesh Tevet 5779 (9 décembre 2018)

HANOUCCAH AU GOULAG

Au fur et à mesure que le froid de l’hiver sibérien devenait plus intense, Hanoucca approchait. un groupe de jeunes juifs, tous prisonniers au Goulag, se retrouvèrent pour une courte réunion. Le sujet à l’ordre du jour: comment obtenir et allumer secrètement une menorah. l’un promit de fournir de la margarine pour servir de combustible. Quelques fils effilochés de la tenue de prisonnier devaient suffire pour confectionner des mèches. On se procura même quelque part des petites coupelles pour contenir la margarine. Tout cela était, bien sûr, contraire aux règlements du camp et ils comprenaient tous les conséquences de leur acte s’ils se faisaient prendre.

Reb Mordechai était l’aîné de ce groupe des 18 hommes et il lui revenait donc l’honneur d’inaugurer la fête en allumant la première bougie. Au plus profond de la nuit, dans un petit abri de jardin, l’équipe intrépide se pressa autour de sa menorah improvisée et écouta la voix émue de Reb Mordechai tandis qu’il récitait les premières bénédictions, le visage inondé de larmes. Reb Mordechai et ses camarades regardaient en silence la petite lumière jaune. Chacun se souvenait de Hannouccah dans la maison de ses parents.

Le fracas de la porte enfoncée brisa la rêverie des hommes. Les gardes du camp se précipitèrent à travers et envahirent l’étroit espace. Les détenus juifs furent saisis par des mains brutales et poussés à travers le camp. Quand ils eurent atteint une petite cellule humide, on leur ordonna de s’entasser à l’intérieur.

Le premier à être jugé fut le chef de file, Reb Mordechai. À l’intérieur de la petite salle d’audience, qui comprenait le bureau du juge et un banc pour le défendeur, la procédure fut tout sauf régulière. Reb Mordechai avait déjà prédit son inculpation et attendait solennellement le verdict.

« Ceci est un acte de trahison », déclara le procureur. « En allumant les bougies, vous aviez l’intention d’envoyer un signal aux forces ennemies. La peine prévue pour cela est la peine de mort. »

Le juge examina le jeune homme qui se tenait devant lui. « Avez-vous quelque chose à dire pour votre défense? »

Le cœur de Reb Mordechai battait la chamade lorsqu’il qu’il s’approcha du juge. « Est-ce juste pour moi, ou aussi pour le reste du groupe? »

 » Pour vous tous», déclara sèchement le juge.

Reb Mordechai était bouleversé.

La salle d’audience commença à tournoyer autour de lui. Quelle qu’ait été l’indifférence qu’il avait pu affecter jusqu’à présent, elle s’évanouit lorsqu’il prit conscience avec terreur que ses frères allaient être conduits à la mort. Il s’en sentait coupable.

Reb Mordechai fondit en larmes et resta quelques minutes devant le juge, sanglotant de façon incontrôlable. Des années de douleur écrasante et d’émotions refoulées le submergèrent et ne pouvaient être contenues.

« Approchez », dit le juge.

Reb Mordechai fit un pas vers le bureau du juge. D’une voix douce, le juge l’interrogea sur ses proches, leurs moyens de subsistance et d’autres questions personnelles. Reb Mordechai répondit aux questions du juge.

« Qu’avez-vous à dire pour votre défense? » Insista le juge.

Faisant preuve d’une audace qu’il ne ressentait pas, Reb Mordechaï, déclara au juge: « Nous sommes juifs et nous avons allumé les bougies cette nuit-là pour célébrer la fête de ‘Hanouccah. »

« Vous avez allumé des bougies pour ‘Hanouccah? Vous avez allumé des bougies pour ‘Hanouccah? », se répéta le juge, visiblement perturbé. « Vous m’en direz tant. . . des bougies de ‘Hanouccah. »

Après avoir retrouvé ses esprits, le juge appela les deux gardes présents dans la salle d’audience et leur demanda de se tenir à l’extérieur. Lorsque la porte fut refermée, le juge reporta son attention sur Reb Mordechai.

« Si vous allumez des bougies de Hanouccah, laissez-moi vous montrer la façon correcte de le faire. »

Reb Mordechai regarda le juge allumer une petite lampe à pétrole. Saisissant les pièces du dossier d’accusation avec précaution, les mains tremblantes, le juge sortit la première et la porta à la flamme. Le papier prit feu et disparut rapidement dans une flamme orange et quelques traces de fumée. Comme s’il craignait de différer son geste de crainte de changer d’avis, le juge fit rapidement subir le même sort à toute la pile en disant: « Vous voyez? C’est ainsi qu’il faut allumer les bougies de ‘Hanouccah. » Bientôt, il ne resta plus rien de la pile.

Après avoir terminé, le juge ramassa les cendres éparpillées, se dirigea vers la fenêtre et les jeta dehors dans le vent de Sibérie. Une fois assis, le juge attrapa la sonnette sur sa table et appela les gardes.

« Prenez ce groupe de 18 hommes », aboya le juge, « et séparez-les en veillant à ce qu’il leur soit impossible de se voir. Il ne sert à rien de les tuer. ils ne valent même pas une balle. »

Les gardes sortirent et Reb Mordechai fut à nouveau laissé seul avec le juge. Ce dernier fit face à Reb Mordechai et dit d’une voix tremblante: « Moi aussi je suis juif et je vous implore de veiller à ce que les générations futures de notre peuple sachent allumer les bougies de ‘Hanoucca. »

Pour avoir tenté de maintenir les traditions juives dans l’URSS de Staline, Mordechai Chanzin fut condamné une première fois en 1935 à dix ans de goulag. (Mon père qui bénéficia aussi d’une telle condamnation m’expliquait que 10 ans était le tarif pour les innocents).
Ayant obstinément poursuivi ses activités juives à sa sortie du camp en 1945, il fut à nouveau condamné à 5 ans. Puis une troisième fois en 1950 à 6 ans.
En 1956, à la faveur de la déstalinisation, après 21 ans de séjour dans les camps de Sibérie, il fut définitivement libéré et réhabilité, en même temps que des centaines de milliers d’autres détenus innocents condamnés à l’esclavage.
Dix ans plus tard, il fut autorisé à émigrer en Israël.