Ephéméride | Troisième bougie de Khanike [4 Décembre]

26 Kislev 5779 (4 décembre 2018)

LA PETITE LAMPE DE HANOUCCAH
(I.L. Peretz)

C’est Hanouccah, après tout!

Je vais donc vous raconter comment un Juif du nom de Shloime-Zalmen, qui avait été riche et avait tout perdu (qu’un tel sort vous épargne!), s’était relevé à l’aide d’une petite lampe de Hanouccah. Et ne commettez pas l’erreur de penser que cette petite lampe de Hanouccah était en or! Pas même en argent! Elle était en laiton en réalité et tout ce qu’il y a de cassée avec ça. C’était juste un objet de famille, transmis de génération en génération… tordue en plus, et l’un de ses huit bougeoirs était cassé.
D’un seul coup, Shloime-Zalmen était redevenu prospère. Comment? Cela n’a rien à voir avec le sujet. Néanmoins, puisque vous insistez, je vais vous le dire. On raconte qu’une fois, lorsqu’il rencontra un soldat transportant des barres de fer dans la rue, il les lui acheta à bas prix.
Rentré chez lui, quand il essaya de limer le fer, que pensez-vous qu’il trouva? De l’or! Volé à la banque, vous voyez.

Cependant, quand un Juif devient riche d’un seul coup, il tourne tout à l’envers. Tout d’abord, notre Juif changea de vêtements. Il devint un « Daytsh » et sa femme une parfaite « Frantsuske ». Elle jeta bientôt son « sheitel ».
Ils avaient deux fils, alors ils les sortirent du « heder » juif et les placèrent dans le gymnase « goy ».

Ensuite, ils se mirent à changer l’apparence de leur foyer. Il y avait, par exemple, une bibliothèque pleine de livres religieux. Qui a besoin de livres religieux? Alors ils en firent cadeau à la maison d’étude. L’armoire à livres elle-même, qui était ancienne, fut débitée pour allumer le poêle. À sa place, sa femme plaça un grand miroir: elle était prise tout-à-coup du désir de se voir de haut en bas!

Alors ils firent venir le brocanteur et ils lui vendirent leur vieux mobilier pour presque rien. A la place, ils achetèrent des sièges Louis XIV anciens, petits, charmants, dorés et tapissés, mais avec de petits pieds tordus sur des roulettes. A mekhaye! Les gens avaient peur de s’asseoir dessus.
Ils avaient aussi un peu de vieille argenterie: des petites boîtes à étrog et des boites à épices, qu’ils vendirent pour une fraction de leur valeur ou offrirent en cadeau de mariage à des proches.
Ensuite, ils achetèrent de la verrerie fine et du cristal, des pots de fleurs et des vases élégants, en accord avec la mode, « modernes », pour ainsi dire.

Et comme la terre est une planète qui tourne, avant longtemps tout commença à se retourner pour Shloime-Zalmen – et à tomber du côté du shmaltz. Il ne pouvait plus envoyer d’argent à ses fils à l’étranger, était à peine en mesure de reporter le paiement de ses traites à ses créanciers, et il n’y avait plus nulle part de possibilité d’obtenir un prêt.

Les choses allèrent de mal en pis. Il fouilla partout: il ne restait même plus rien à mettre en gage. Louis XIV était tombé en morceaux, la fine verrerie et le cristal étaient brisés, il ne restait que quelques pots cassés, réparés avec du plâtre.

Ils vivaient donc en grand besoin. Et lorsqu’on vit dans le besoin, on commence à réfléchir un peu à sa judéïté. La femme de Shloime-Zalmen emprunta un « Taytsh-Khumesh » à une voisine et le lut.
Désormais, « Pan » Solomon, l’ancien Shloime-Zalmen, était redevenu Shloime-Zalmen. De temps en temps, il mettait son « tallit » et ses « tefillin » et récitait ses prières.

Un jour, quand le temps de Hanouccah arriva, il eut une forte envie d’allumer les bougies de Hanouccah et de prononcer sur elles, les bénédictions. Des petites bougies, ils réussirent à en trouver. Ils allèrent ensuite dans la cuisine chercher un morceau de bois sur lequel fixer les bougies, mais ils n’en trouvèrent aucun, pas même un morceau de bois d’allumage.

Tout-à-coup, Shloime-Zalmen se souvint qu’il y avait longtemps, très longtemps, il avait trouvé une vieille lampe de Hanouccah et l’avait abandonnée au-dessus du poêle.
– Shloime-Zalmen, supplia sa femme, grimpe et descends-là. Alors, au risque de se casser le cou, ils placèrent une chaise sur la table et les poussèrent contre le poêle.
Shloime-Zalmen escalada l’édifice. La chaise vacillait et grinçait, Louis XIV gémissait véritablement. Mais pour finir, la lampe de Hanouccah fut descendue sans encombre.
Elle était recouvert d’une couche de poussière si épaisse, qu’ils ne parvinrent à l’essuyer qu’après de grands efforts.

Alors, Shloime-Zalmen commença à réciter les bénédictions sur les bougies. Et il le fit tous les jours jusqu’au huitième jour. Cependant, la dernière nuit, ils durent se coucher sans dîner. Ce n’était pas très gai! Et Shloime-Zalmen était assis d’un côté de la table et sa femme de l’autre, et tous deux étaient plongés dans de profondes et douloureuses pensées.
Il semblait bien qu’ils allaient mourir de faim.

Soudain, on sonna à la porte. Ils ouvrirent. Entra un jeune homme, une de leurs connaissances qui faisait l’intermédiaire pour toutes sortes de choses.
– Que voulez-vous? » lui demandèrent-ils.
L’intermédiaire pouvait à peine se retenir de rire. Il leur dit qu’un Anglais fou venait d’arriver à Varsovie. Il était rasé de près ou c’était peut-être juste une femme déguisée… achetait toutes sortes de choses cassées… en fait, en ce moment même où il attendait dans le vestibule.
– Qu’il entre! dit Shloime-Zalmen. Nous allons sûrement trouver quelque chose. Après tout, je suis propriétaire des lieux depuis si longtemps.
Shloime-Zalmen et sa femme échangèrent un regard. Quel genre de vieilleries avaient-ils encore, se demandaient-ils? Entre-temps, l’Anglais était entré, n’avait pas pu attendre d’y être invité et, puis, la porte était restée ouverte comme une invitation. Il ôta son manteau de fourrure et quand il aperçut la petite lampe de Hanukkah, il la saisit comme une « latke » brûlant.

Il la tenait dans ses mains tremblantes. Ses yeux étincelaient étrangement.
– Ne vous ai-je pas dit « meshuggehl », murmura l’intermédiaire.
– Wie viel, wie viell? répétait l’Anglais en allemand.

Bref, ils vendirent la lampe de Hanuccah en faisant entièrement confiance à la probité de l’Anglais fou. Ils prirent ce qu’il offrit.
Après que l’Anglais et l’intermédiaire furent partis et que le couple fut resté seul, Shloime-Zalmen s’exclama:
– Vraiment meshuggehl!
– Et peut-être que c’était le prophète Élie? », ajouta sa femme. Tu sais, il est possible qu’il nous ait rendu visite en raison du bienfait que nous avons accompli en allumant la lampe de Hanouccah.
Quoi qu’il en soit, ils eurent assez pour dîner ce soir-là et pour petit-déjeuner le lendemain matin. Et quelque chose aussi pour faire le marché.
L’argent qu’ils avaient reçu leur porta vraiment chance. La roue de la fortune commença à repartir dans l’autre sens.
Et une fois de plus, Shloime-Zalmen commença à se faire appeler « Pan » Solomon. Quand ça va bien, tout va bien. Shloime-Zalmen et son épouse reçurent de leurs enfants à l’étranger des lettres pleines de « nakhes ».

Le fils de Londres était devenu ingénieur, s’était élevé dans le monde, s’était marié. Il invita son père et sa mère à venir à Londres et à faire la connaissance de leur belle-fille. Ils y allèrent donc.
Après avoir savouré le foyer de leur fils et de sa femme, ils commencèrent à visiter Londres, d’abord les bâtiments publics et les usines, puis les théâtres, les salles de concert et les expositions.
Un jour, on les emmena dans un musée d’art. Essayez seulement d’imaginer à quel point le vieux couple fut abasourdi quand, dans une vitrine d’une des salles d’exposition, ils se retrouvèrent nez à nez avec leur vieille lampe de Hanouccah!
Ils reconnurent les lions qui riaient, les petits arbres avec leurs oiseaux, l’un des pieds tordus et l’un des chandeliers à moitié cassé.
– Il n’était donc pas du tout meshuggeh, conclut Mr Solomon (maintenant qu’il était Angleterre).
– Et ce n’était pas non plus le prophète Élie, ajouta Mrs (maintenant qu’elle était en Angleterre) Salomon.

Parler à haute voix, poser des questions en présence de leur belle-fille anglaise ne semblait pas tout à fait approprié.

Alors, ils commencèrent à y réfléchir…
Nu, peut-être que vous aussi, vous aimeriez y réfléchir? …