27 août, Varsovie, mettons. Le flou règne souvent sur les données de naissance des Juifs polonais de l’époque, « ajustées » en fonction du souci d’éviter la conscription dans l’armée du Tsar et l’impossibilité d’y respecter les préceptes religieux.
Vingt ans plus tard, en tous cas, Szmuel Gelbfisz quitte les ruelles glacées de la Pologne tsariste pour New York, valise en main et cœur débordant de rêves. L’Europe laisse derrière elle ses pogroms, mais lui transmet une mémoire et une sensibilité qui façonneront ses films. Là-bas, Szmuel devient Samuel Goldwyn, bâtisseur d’un empire hollywoodien où l’héritage juif respire entre les lignes, invisible mais influent.
Dans les années 1920, Goldwyn installe son royaume à Hollywood. Avec Goldwyn Pictures, puis la fusion en MGM, il définit le star system, disciplinant le chaos d’Hollywood et imposant une rigueur qui fera sa légende. Greta Garbo, Clark Gable, James Stewart : tous deviennent des icônes façonnées par un producteur visionnaire, capable d’allier spectacle et humanité.
Mais derrière les lumières et les paillettes, Goldwyn cache un monde invisible : sa culture et sa mémoire juives. Il ne les affiche jamais, mais elles imprègnent ses films comme un souffle discret.
Goldwyn a toujours été prudent : ses films n’étaient pas explicitement juifs. Pourtant, son héritage se manifeste par les valeurs et les choix culturels qu’il fait transparaître : courage, persévérance, intégrité, dignité humaine.
Ainsi dans The Pride of the Yankees (1942) avec Gary Cooper, un biopic dans l’univers du base-ball qui raconte l’ascension et la chute du première base légendaire de l’équipe New Yorkaise, Lou Gehring. Des premières passes à ses prouesses sur le terrain qui lui valurent le surnom de cheval de fer, jusqu’au terrible diagnostic des médecins lui annonçant qu’il est atteint d’une maladie rare, l’histoire de l’homme le plus chanceux de la Terre, selon ses derniers mots, Goldwin insiste pour que les scènes de Lou Gehrig confrontant sa maladie soient tournées avec authenticité et sobriété. La persévérance et le courage, valeurs juives universalisées, deviennent le cœur émotionnel du film.
Dans Dodsworth (1936) de William Wiler, Samuel Dodsworth est un riche magnat de l’industrie automobile américaine. Sa femme, Fran, lui propose de passer une nouvelle lune de miel en Europe. Mais le voyage creuse le fossé entre le couple. Lui ne rêve que de son travail, elle ne pense qu’à flirter avec des hommes plus jeunes. La nuance des tensions sociales et culturelles est mise en avant par des dialogues précis, reflétant la sensibilité d’un immigrant juif confronté à l’adaptation dans une société étrangère.
Dans Wuthering Heights (1939), également réalisé par William Wiler avec Laurence Olivier et Merle Obéron, Goldwin veille particulièrement à la profondeur psychologique des personnages, valorisant la réflexion morale et la résilience.
Dans Guys and Dolls (1955), réalisé par Joseph Mankiewicz, avec Marlon Brando et Frank Sinatra, Nathan Detroit, propriétaire d’un tripot new-yorkais, a un urgent besoin d’argent. Il va trouver Sky Masterson, un joueur invétéré, et lui propose un pari on ne peut plus extravagant : Sky doit emmener dîner le soir même à La Havane une jeune femme oeuvrant pour l’Armée du salut. L’humour et l’esprit des personnages sont façonnés par la culture juive, tout en restant accessibles et universels.
Goldwyn s’entoure de collaborateurs juifs influents — Ben Hecht, Herman J. Mankiewicz, Alfred Newman — qui façonnent les dialogues, la musique et l’âme des films. Leur culture est subtilement diffusée, comme une influence invisible mais puissante, normalisant la présence juive dans le cinéma américain.
Sur le plateau ou dans son bureau, Goldwyn était attentif aux détails :
– Il insistait pour que la moralité et la dignité des personnages soient respectées, même dans les scènes de conflit ou de drame.
– Il supervisait les dialogues, les scènes et la musique pour que la valeur humaine et l’éthique passent avant le spectacle.
– Avec Hecht et Newman, il trouvait des moyens d’insuffler l’humour, l’esprit et la sensibilité juive dans les films sans jamais les étiqueter.
Ainsi, sans mettre en scène des personnages juifs ou des récits juifs, son héritage juif était diffus, indirect et durable : présent dans la morale des personnages, dans l’esprit des dialogues et dans la profondeur des récits.
Dans les années 1930, Hollywood devient un terrain de tension : l’Allemagne nazie cherche à contrôler l’image de son régime sur les écrans américains. Goldwyn adopte une position prudente mais ferme :
– Refus de produire ou financer des films favorables au régime nazi.
– Intransigeance sur l’intégrité des contenus, refusant toute censure ou manipulation.
– Maintien des valeurs universelles de ses films — humanisme, intégrité, dignité — malgré les pressions.
Après la Seconde Guerre mondiale, le maccarthysme impose la peur et la censure dans Hollywood. Goldwyn agit avec pragmatisme et éthique :
– Protection des collaborateurs menacés, permettant à certains de continuer à travailler sous pseudonyme.
– Refus de céder aux pressions politiques pour modifier le contenu des films.
– Défense de la liberté artistique comme principe fondamental du cinéma.
Ainsi, qu’il s’agisse de la propagande nazie ou du maccarthysme, Goldwyn reste un protecteur des valeurs et des artistes, alliant prudence et fermeté morale.
Samuel Goldwyn meurt le 31 janvier 1974, laissant derrière lui un Hollywood transformé. Ses films restent des témoins d’un équilibre subtil : universalisme narratif et empreinte juive invisible, spectacle et morale, prestige et conscience éthique.
Dans ses studios dorés, Goldwyn a créé un monde où son identité pouvait respirer entre les lignes, influençant des générations de cinéastes et de spectateurs. Sa culture juive n’était jamais affichée, mais elle était essentielle : une lumière discrète, diffuse, qui continue de guider le cinéma contemporain.
« La gloire n’est pas ce que vous possédez, mais ce que vous laissez derrière vous quand les lumières s’éteignent. »
Derrière les projecteurs, l’influence juive de Goldwyn brille toujours, invisible mais indélébile, dans chaque film, chaque acteur et chaque scène qu’il a contribué à créer.
27 août 1879. Naissance à Varsovie de Samuel Goldwin, un des hommes qui firent de Hollywood la capitale mondiale du cinéma.
