29 août 1960. Décès à Hollywood de Vicki Baum, une pionnière de la narration moderne, qui a su transformer la structure du roman européen en un récit au rythme hollywoodien, anticipant les techniques du cinéma.

Hedwig Baum, dite Vicki Baum, naît le 24 janvier 1888 à Vienne, au sein d’une famille juive assimilée de la bourgeoisie autrichienne. Son père, Herman Baum, est employé de banque, et sa mère, Mathilde Donat, issue d’une famille cultivée, incite sa fille à développer ses talents artistiques.

Douée pour la musique, Vicki se forme au piano et à la harpe au Conservatoire de Vienne. Elle devient harpiste professionnelle et joue notamment à l’Opéra de Darmstadt et à l’Opéra de Vienne. Mais, parallèlement à sa carrière musicale, elle nourrit très tôt une passion pour l’écriture.

Ses premières nouvelles et romans paraissent dans les années 1910. Son style est marqué par une observation vive des mœurs, un sens aigu du détail psychologique et une approche moderne de la condition féminine.
En 1914, elle publie son premier roman, Frühe Schatten. Die Geschichte einer Kindheit (Ombres précoces. Histoire d’une enfance). Elle explore les tensions entre tradition et modernité, les rapports de genre, et les bouleversements sociaux de l’époque.

Parallèlement, Vicki Baum travaille comme journaliste et critique, ce qui l’ancre dans la vie culturelle bouillonnante de Vienne et de Berlin.

Dans les années 1920, elle s’installe à Berlin, capitale artistique et intellectuelle de la République de Weimar. Elle devient rédactrice chez l’éditeur Ullstein Verlag, l’un des plus grands groupes de presse et d’édition allemands, où elle acquiert un rôle central dans la vie littéraire.

Or, ce grand groupe de presse et d’édition berlinois est lui-même dirigé par une famille juive assimilée. Vicki Baum se trouve donc au cœur de cette intelligentsia juive allemande qui façonne la culture de Weimar.

Mais dès que la crise économique s’installe et que l’antisémitisme resurgit, son succès lui est reproché : elle est considérée comme un « produit de la presse juive », accusée de faire de la « littérature de masse » dévoyée. En 1933, lorsque ses livres sont brûlés par les nazis, c’est sa judéité plus encore que son style qui la rend suspecte.

C’est à cette époque qu’elle publie ses romans les plus célèbres. Son style est résolument moderne, urbain, cinématographique. Elle capte le rythme de la métropole, les destins croisés de personnages issus de milieux sociaux divers, avec un sens du drame et de la mise en scène.

Son plus grand succès est en 1929 Menschen im Hotel (Grand Hôtel), roman choral situé dans un hôtel de luxe berlinois où se croisent une ballerine, un baron ruiné, un homme d’affaires cynique et un comptable désespéré.
Le roman devient immédiatement un best-seller. Il est adapté au théâtre, puis au cinéma à Hollywood sous le titre Grand Hotel (1932), avec Greta Garbo et John Barrymore. Le film remporte l’Oscar du meilleur film, consacrant définitivement Vicki Baum comme une romancière internationale.

Avec l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933, la position de Vicki Baum devient précaire en raison de son identité juive et de son œuvre jugée « décadente ». Elle quitte l’Allemagne, passe par la France, puis s’installe aux États-Unis.

Installée définitivement en Californie après 1933, elle écrit en allemand puis en anglais, et collabore avec Hollywood comme scénariste. Ses talents de narratrice, sa maîtrise des dialogues et son sens du rythme narratif font d’elle une plume recherchée.

Elle publie de nombreux romans en exil, dont certains abordent explicitement la thématique du déracinement et de l’exil juif.

L’œuvre de Vicki Baum se caractérise par :
• Une approche moderne et cinématographique de la narration : scènes rapides, dialogues vifs, montage alterné.
• Des destins croisés qui reflètent la diversité et la complexité de la société moderne.
• Une sensibilité féminine affirmée, abordant le travail des femmes, leur autonomie et leurs désirs.
• Une réflexion sur le déracinement et l’exil, surtout après 1933.

Parmi ses œuvres importantes après l’exil :
Liebe und Tod auf Bali (Amour et mort à Bali, 1937), roman qui mêle exotisme et réflexion sur le colonialisme.
Hotel Berlin ’43 (1944), qui aborde directement l’Allemagne nazie et devient aussi un film hollywoodien.
• Ses mémoires, It Was All Quite Different (1964, publiées à titre posthume), où elle retrace son parcours de Vienne à Hollywood.

Vicki Baum poursuit sa carrière d’écrivaine et de scénariste aux États-Unis, s’intégrant dans le cercle des écrivains juifs exilés à Los Angeles, aux côtés de Thomas Mann, Lion Feuchtwanger et Franz Werfel.

Elle meurt le 29 août 1960 à Hollywood, laissant derrière elle une œuvre traduite dans de nombreuses langues, symbole de la modernité littéraire des années 1920-1930 et de la destinée des intellectuels juifs européens au XXe siècle.

Vicki Baum fut plus qu’une romancière à succès : elle incarna la modernité viennoise et berlinoise, le destin tragique de l’exil juif et l’adaptation créative à Hollywood. Ses romans, à la fois populaires et profondément marqués par une sensibilité d’avant-garde, demeurent un témoignage vibrant de son époque.