Le 3 octobre 1940, à Vichy, Philippe Pétain signa une loi qui allait transformer des milliers de citoyens en parias. Ce statut des Juifs n’était pas une exigence de l’occupant allemand, mais une décision française, pensée, rédigée et durcie au sommet de l’État. Pétain relut le projet, rayant d’un trait de plume les hésitations, élargissant les interdictions. Comme l’écrira plus tard un fonctionnaire :
« Le Maréchal a tenu à mettre la main lui-même au texte, comme pour sceller le pacte d’une France nouvelle, purifiée. »
La définition était implacable : trois grands-parents juifs, ou deux si le conjoint l’était. On devenait juif par le sang, sans échappatoire. Aussitôt, les portes de l’État se fermèrent : fonctionnaires, magistrats, officiers, professeurs, journalistes, cinéastes, hommes de radio — toute une élite écartée.
Marc Bloch, historien et vétéran décoré de 1914, écrivit à un ami :
« Je ne m’étonne pas de l’injustice ; je souffre de la trahison. Cette patrie pour laquelle nous avons tant donné, nous rejette comme indignes. »
À la Sorbonne, un collègue nota dans son carnet :
« Les étudiants ont lu la nouvelle sans broncher. Un professeur disparaît, on le remplace. Les cours continuent. »
Contrairement à une idée reçue, le statut du 3 octobre frappa indistinctement Juifs français et étrangers. Mais dès le lendemain, la loi du 4 octobre permit d’interner les étrangers dans des camps, sur simple décision préfectorale. Un avocat parisien, radié du barreau, confia :
La définition était implacable : trois grands-parents juifs, ou deux si le conjoint l’était. On devenait juif par le sang, sans échappatoire. Aussitôt, les portes de l’État se fermèrent : fonctionnaires, magistrats, officiers, professeurs, journalistes, cinéastes, hommes de radio — toute une élite écartée.
Marc Bloch, historien et vétéran décoré de 1914, écrivit à un ami :
« Je ne m’étonne pas de l’injustice ; je souffre de la trahison. Cette patrie pour laquelle nous avons tant donné, nous rejette comme indignes. »
À la Sorbonne, un collègue nota dans son carnet :
« Les étudiants ont lu la nouvelle sans broncher. Un professeur disparaît, on le remplace. Les cours continuent. »
Contrairement à une idée reçue, le statut du 3 octobre frappa indistinctement Juifs français et étrangers. Mais dès le lendemain, la loi du 4 octobre permit d’interner les étrangers dans des camps, sur simple décision préfectorale. Un avocat parisien, radié du barreau, confia :
« Je suis un enfant de France, décoré de 14-18. On me dit que je n’ai plus droit de plaider. Mais mon voisin polonais, lui, on l’enferme. Nous voilà séparés, mais nous sommes tous deux rejetés. »
Ainsi, dès l’automne 1940, deux logiques se superposaient : l’exclusion pour tous, l’internement pour les étrangers.
Les grands corps de l’État, dociles, appliquèrent la loi. Au Conseil d’État, un fonctionnaire nota :
« On a établi la liste en deux jours. Quelques noms à rayer, quelques dossiers à refermer. Personne ne discuta. »
Dans les barreaux, les ordres de médecins, les associations professionnelles, on procéda aux radiations sans protester. Parfois même avec empressement : « Enfin, des places vont s’ouvrir », entendait-on dans les couloirs.
Dans la France occupée, l’annonce passa comme une formalité. La plupart s’inquiétaient du ravitaillement, du froid, des prisonniers de guerre. Une commerçante de Clermont-Ferrand écrivit dans une lettre :
« On dit qu’ils vont enlever les Juifs de leurs commerces. Peut-être aurons-nous plus de beurre, alors ? »
La propagande faisait son œuvre. La presse expliquait que les Juifs avaient corrompu l’État, tenu la finance, manipulé l’opinion. Certains approuvaient franchement :
« C’est bien, qu’on les mette de côté. Ils étaient partout », disait-on dans les cafés.
Il y eut pourtant des gestes de solidarité. Un professeur catholique adressa sa démission en signe de protestation :
« Je ne puis enseigner dans une institution qui refuse la science à cause du sang de celui qui la porte. »
Mais ces voix restèrent isolées.
De Londres, cependant, la réaction fut immédiate. Le général de Gaulle déclara à la radio :
« En brisant l’égalité entre ses enfants, l’État français s’avilit. La France véritable, elle, ne reconnaîtra jamais de lois raciales. »
Cette dénonciation, minoritaire, traçait déjà la ligne de partage : d’un côté Vichy, qui excluait ; de l’autre la France libre, qui refusait.
Le silence, l’indifférence, parfois la convoitise, facilitèrent la suite. En octobre déjà, les camps s’emplissaient d’étrangers juifs. Quelques mois plus tard, l’aryanisation économique fut accueillie comme une opportunité : commerces, ateliers, cabinets passèrent de main en main. Un notaire d’Orléans se félicitait dans une lettre à sa femme :
« Une belle affaire s’est libérée, un magasin de tissus. C’est triste pour eux, mais c’est la chance de ma carrière. »
La banalisation de l’exclusion ouvrait la voie à pire. Chacun connaissait un professeur, un médecin, un avocat qui avait disparu de son poste. Et pourtant, la vie continuait. La société s’était habituée.
Le 3 octobre 1940 n’était pas encore la rafle, ni l’étoile jaune, ni le convoi vers Auschwitz. Mais c’était le moment où la France, de son propre chef, avait décidé qu’une partie de ses enfants ne ferait plus partie de la nation. L’indifférence sociale, la docilité des institutions, l’approbation de certains préparèrent les étapes ultérieures.
Dans le silence d’un pays résigné, Pétain avait ouvert la voie. Et la France avait suivi.
