27 novembre 1874. Naissance de Chaim Weizmann, savant, diplomate et premier président de l’État d’Israël.

Illustration: Chaim et Vera Weizmann
En 1917, dans un bureau discret de Whitehall, un homme venu de Manchester pose sur une table un petit flacon d’acétone. Il ne vient pas exposer un programme politique, mais expliquer une réaction de fermentation qu’il a mise au point : une culture bactérienne capable de fournir en quantité industrielle, à partir de matières végétales, l’acétone indispensable à la cordite, composant essentiel pour la fabrication des munitions de l’armée britannique.
Depuis des mois, le Royaume-Uni manque de ce solvant essentiel ; l’effort de guerre en souffre. Le procédé de Weizmann — rapide à industrialiser, adaptable — devient une solution concrète à une crise réelle.
Il ne faut pourtant pas se méprendre : la chimie n’achète pas une politique. Contrairement à la légende, le procédé n’est pas la clé magique qui ouvrira la Déclaration Balfour. Mais il donne à Weizmann quelque chose de rare : une crédibilité immédiate, un accès aux ministères, un respect professionnel qui, plus tard, permettra d’écouter calmement ce qu’il a à dire du peuple juif et de la Palestine.
Ainsi, sans intrigue ni secret, Weizmann entre dans la sphère où se prennent les décisions du monde.
Chaïm Weizmann naît en 1874 dans une maison modeste de Motol, dans l’Empire russe. Le père, marchand de bois, enseigne la rigueur ; la mère, Rachel, transmet la dignité. Dans la zone de résidence, les humiliations sont quotidiennes ; mais le jeune garçon trouve dans les livres une liberté intérieure que rien n’altère.
Il étudie à Dantzig, Berlin, Fribourg. À Fribourg, en 1899, il soutient sa thèse de chimie organique. Il n’est pas encore celui que l’Histoire attend, mais déjà un homme dont la pensée se nourrit de précision, de patience, de discipline intérieure.
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À Manchester, au début du XXᵉ siècle, il travaille au milieu des cuves, des réacteurs, des distilleries transformées en laboratoires improvisés. Il identifie la souche bactérienne — Clostridium acetobutylicum — qui lui permettra d’extraire de l’acétone en quantité.
Il ne sait pas encore que son procédé résoudra une crise majeure de l’industrie militaire britannique. Il ne sait pas davantage qu’il deviendra, presque malgré lui, un interlocuteur courtois mais indispensable des ministres de Sa Majesté.
Il est alors un savant, pas un homme d’État. C’est la chimie qui l’a introduit dans la diplomatie, non l’inverse.
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Dans l’immense correspondance de Weizmann, un destin se détache constamment : celui de Vera Chatzman, médecin, épouse, juge lucide et soutien inaltérable.
À elle, il écrit sans détour :
« Tu es la seule personne à qui je peux écrire exactement ce que je pense. »
Cette phrase, tirée d’une lettre de 1916, dit leur contrat moral : Vera est son espace de vérité.
Elle, de son côté, observe et avertit. En 1937, elle lui écrit :
« Le fardeau que tu portes est trop lour pour un seul homme. »
Jamais sentimentalité, jamais flatterie — seulement une clarté affectueuse.
Dans les tournants du sionisme, elle n’apparaît pas aux tribunes, mais on retrouve sa présence dans la sobriété des lettres, dans la continuité de la vie quotidienne, dans la détermination qui l’amènera plus tard à présider des institutions sociales en Israël.
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Weizmann n’a jamais prétendu que son procédé d’acétone “avait produit” la Déclaration Balfour ; il s’en méfie même. Il sait que les raisons britanniques sont multiples : rivalité avec la France, espoirs de soutien juif aux États-Unis, vision impériale du Proche-Orient.
Mais il sait aussi ce qui dépend de lui : sa capacité à convaincre par la raison. Et c’est là que son influence se joue. Non dans des trocs secrets, mais dans une estime patiemment gagnée. Lorsque Balfour lui confie que le sionisme a pour lui une résonance morale profonde, Weizmann comprend que sa voix porte — non parce qu’il est chimiste, mais parce qu’il est devenu un interlocuteur naturel.
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En 1942, le télégramme arrive :
Michael Weizmann, pilote de la RAF, est porté disparu.
On ne retrouvera jamais son avion.
Dans une lettre à un ami, Chaïm écrit :
« Chaque heure est un rappel de notre perte. »
Dans ses notes privées, publiées plus tard :
« La maison est pleine de Michael, et pourtant vide sans lui. »
C’est une douleur nue, noire, sans emphase.
Weizmann poursuit son travail — il le dit lui-même — parce qu’il n’y a rien d’autre à faire. Mais c’est désormais un homme qui avance avec un vide en lui.
Vera tient la maison ; Chaïm tient son rôle.
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Difficile d’imaginer personnalités plus opposées que celles de Weizmann et Ben Gourion.
  • L’un croit à la diplomatie, aux élites, à la patience.
  • L’autre croit à la force des faits, aux pionniers, à la terre.
Dans une lettre de 1936, Weizmann note :
« Il voit le monde sous un seul angle, la force »
Ben Gourion, dans son journal, écrit de son côté :
« Sa manière est la diplomatie; la mienne est la réalité. »
Ce ne sont pas deux ambitions personnelles qui s’opposent : ce sont deux conceptions du sionisme.
Le Congrès sioniste devient parfois leur arène.
En 1931, Weizmann doit quitter la présidence de l’Organisation sioniste mondiale ; Ben Gourion avance.
Et lorsque l’État d’Israël est proclamé, en 1948, les rôles sont clairs :
Ben Gourion fonde, Weizmann incarne.
Aucun triomphe n’est complet. C’est une division du travail scellée par l’Histoire.
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Weizmann termine sa vie dans sa maison de Rehovot, où les citronniers entourent l’Institut scientifique qu’il a fondé. Il est président d’Israël – poste honorifique -, épuisé, respecté.
Il reçoit des étudiants, parle lentement, relit des lettres anciennes.
Il sait que le monde qu’il a aidé à construire lui échappe déjà.
Il sait aussi que ce n’est pas grave : la continuité prime.
Il meurt en 1952.
Ben Gourion — son rival le plus dur — dit alors une phrase qui résume tout :
« Nous ne serions pas là sans lui. »
Sources
  • The Letters and Papers of Chaim Weizmann, 23 vol., Jerusalem/Londres, 1968–2003.
  • Chaim Weizmann, Trial and Error, New York, 1949.
  • David Ben-Gurion, Yoman (Journaux), plusieurs vol.
  • Leonard Stein, The Balfour Declaration, 1961.
  • Jehuda Reinharz, Chaim Weizmann: The Making of a Zionist Leader, Harvard University Press, 1985.
  • Jehuda Reinharz & M. Shapira, Chaim Weizmann: The First President, 2015.
  • Shabtai Teveth, Ben-Gurion and the Palestinian Arabs, 1985.