Quand le crypto-Juif portugais Diogo Pires rencontra l’audacieux aventurier David Reubeni, sa vie prit une tournure inattendue. En se convertissant au judaïsme, Pires entreprit un long voyage à travers le monde, étudia la kabbale, inspira certains des plus grands rabbins, tenta de créer une armée juive, et — plus célèbre encore — se déclara Messie.
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Dans le royaume du Portugal vivait un groupe de chrétiens qui observaient pourtant les lois de la kashrout, du shabbat et de la niddah, priaient avec des livres de prières juifs et apprenaient la Torah. Ils n’avaient jamais voulu être chrétiens : nés juifs, ils avaient été contraints de se convertir ou de mourir. Ce groupe secret, connu sous le nom de crypto-Juifs, continuait à pratiquer et à croire en judaïsme en secret.
Entre septembre 1500 et août 1502, un petit garçon naquit de parents crypto-Juifs. Il fut nommé Diogo Pires, un nom chrétien portugais traditionnel. Pour tous les pouvoirs civils, Diogo grandit comme un garçon chrétien. Il suivit le système éducatif portugais, réussit scolairement et, à 21 ans, fut nommé par le roi de Portugal secrétaire royal à la Haute Cour d’Appel du Portugal.
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Diogo Pires aurait fait carrière au Portugal s’il n’avait pas rencontré David Reubeni, un homme dont la vie était déjà pleine de mystères. Reubeni prétendait être un prince arabe issu de la tribu perdue de Ruben, envoyé en mission importante. Certains disaient qu’il venait d’Inde ou d’Afghanistan, mais rien ne permet de vérifier ces récits.
Reubeni se disait engagé dans une mission : négocier avec le roi de Portugal pour obtenir armes et soutien afin de créer une armée juive qui chasserait les Ottomans de la Terre d’Israël et permettrait aux Juifs de reprendre le contrôle de la région.
Pires fut profondément impressionné par Reubeni et en vint à croire qu’il était le Messie. Il pensait que Dieu l’avait guidé vers Reubeni et qu’il devait désormais l’accompagner dans ses voyages, prêchant que Reubeni était le Messie. Reubeni, en revanche, n’était pas du tout intéressé par ce rôle de disciple attaché à ses pas.
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Mais Diogo ne se découragea pas. Convaincu qu’aucun refus ne signifiait vraiment non, il décida de se circoncire et de changer de nom, se convertissant ainsi officiellement (du moins à ses yeux) au judaïsme. Il choisit le nom Solomon Molkho : Solomon en référence au roi biblique qui apporta la paix, et Molkho, évoquant le mot melekh (roi) ou malakh (ange), correspondant à son sentiment d’être envoyé par Dieu.
Parce que se convertir au judaïsme au Portugal à cette époque était passible de mort, Molkho dut fuir le pays, entraînant Reubeni avec lui.
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Après son exil, Molkho se rendit à Salonique, où il se rapprocha d’une communauté juive pratiquante et étudia intensément la kabbale. Il fut accepté dans la maison d’étude du grand kabbaliste Joseph Taitazak, un maître respecté.
Molkho devint habile à déchiffrer les codes kabbalistiques et à comprendre les nuances de ces enseignements mystiques. Selon une tradition tardive, il fut aussi en contact avec des figures juives importantes comme Joseph Caro, l’auteur du Shulkhan Arukh, le code détaillé de la Loi juive, et Shlomo Alkabetz, gagnant le respect et l’inspiration de certains d’entre eux.
Il publia des œuvres sur le Talmud, la Bible et la kabbale, et prêcha ses idées à travers l’Empire ottoman. Une de ses convictions était que la venue du Messie aurait lieu en 1540, et beaucoup de ses disciples le crurent sincèrement.
En 1529, Molcho accepta de compiler et publier plusieurs de ses sermons sous le titre Derashot, plus tard renommé Sefer ha-Mefoar.
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Molkho se rendit ensuite à Rome en 1530, où il fit plusieurs prédictions spectaculaires. Il annonça une grande inondation à Rome en octobre 1530, qui se produisit effectivement, puis un tremblement de terre au Portugal en janvier 1531 — ce qui renforça sa réputation parmi certaines populations.
Le pape Clément VII, impressionné, accorda à Molkho sa protection contre l’Inquisition, ce qui permit à Molkho de prêcher librement. Cela renforça sa conviction qu’il était réellement le Messie, et il entreprit même une forme d’ascèse symbolique, s’infligeant volontairement souffrances et privations.
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Encore selon une autre tradition ultérieure, Molkho fit produire un drapeau jaune portant le mot “MACCABI”, dérivé d’un verset biblique exprimant : “Qui parmi les puissants est comme Dieu ?” — un symbole de force et de délivrance. En cette veille de Hanouca, on aimerait que l’anecdote soit authentique.
En 1532, il retrouva Reubeni, puis les deux partirent pour Ratisbonne (Regensburg) afin de rencontrer l’empereur Charles Quint. Là, ils eurent droit à une audience privée de plus de deux heures. Selon certaines lettres, Molkho proposa de créer une armée juive ou demanda des moyens pour lutter contre les Turcs.
L’empereur, peu enclin au mysticisme, jugea leurs idées politiquement subversives. Molkho fut arrêté et renvoyé en Italie pour être jugé. À Mantoue, on lui offrit la vie s’il revenait au catholicisme. Il préféra mourir en martyr et fut brûlé vif en 1532.
Reubeni fut emprisonné mais survécut quelque temps encore, probablement jusqu’à sa mort en captivité.
