24 novembre 1864
Naissance de Henri de Toulouse-Lautrec, célèbre surtout pour ses affiches et illustrations, notamment celles qui mettent en scène les cabarets de Montmartre et leurs filles de joie.
L’une des plus connues est justement une affiche réalisée pour la publicité du roman de Victor Joze « Reine de Joie ».
L’affiche représente une scène du roman où figure le Baron de Rozenfeld, un banquier juif – allusion transparente au baron Alphonse de Rothschild. Pourtant, le baron n’est pas une figure centrale du livre. Le roman est centré sur une courtisane parisienne, Alice Lamy, qui s’insinue dans la haute société des aristocrates et des riches bourgeois. Avant la scène représentée par Lautrec, le banquier conclut un marché pour séduire Alice (cinquante mille francs par mois, plus des bijoux et un hôtel particulier). Lautrec montre le dîner que le banquier a organisé avec Alice et trois de ses amis dans un salon privé du Café Anglais. Alice vient de déplier la serviette où le banquier a discrètement placé l’acte de vente de l’hôtel particulier de l’avenue du Bois de Boulogne pour un million de francs. L’affiche représente le moment suivant: « Elle se lève soudain, enlace le baron dans ses bras nus, et comme ses lèvres glissent vers la bouche du vieil homme, elle rencontre un obstacle sous la forme de son grand nez sémitique crochu et c’est là qu’elle plante son baiser. »
Dans son livre sur « Les origines du totalitarisme », Hannah Arendt analyse « la transformation du « crime » de judaïsme en « vice » de judéité à la mode. Elle explique que les salons parisiens élégants, « attirés » par ce qu’ils « jugeaient être un vice », « admettaient à la fois les homosexuels et les Juifs ». « Dans les deux cas, la société était loin d’être motivée par une révision des préjugés. Ils ne doutaient pas que les homosexuels étaient des « criminels » ou que les Juifs étaient des « traîtres » (on est en pleine Affaire Dreyfus); ils avaient seulement changé d’attitude envers le crime et la trahison. »
Les Juifs étaient admis dans les salons pour divertir dans des rôles exotiques, étranges et monstrueux, rôles qui pouvaient être le mieux joués par ceux qui étaient dans la première phase de leur assimilation. « L’origine juive, sans connotation religieuse et politique, est devenue partout une qualité psychologique, a été changée en « judéité », et à partir de ce moment-là, elle ne pouvait être considérée que dans les catégories de la vertu et du vice ».
La représentation du banquier juif dans cette affiche d’avant-garde est une manifestation de ce changement: représenter le fait d’être un Juif comme un « vice ». Elle conforte le spectateur dans sa position de supériorité morale vis-à-vis du Juif.
