Ephéméride | Suite de l’éphéméride du 25 : Les temps affreux de l’ataman Khmelnitzky [26 Janvier]

26 janvier 1648

De Podolie, les bandes rebelles pénètrent en Volhynie. Ici, les massacres se poursuivent tout au long de l’été et de l’automne 1648. Dans la ville de Polonnoye, dix mille Juifs se retrouvent aux mains des Cosaques ou sont emmenés captifs par les Tatars. Parmi les victimes se trouve le cabaliste Samson d’Ostropol, qui est grandement vénéré par le peuple. Ce cabaliste, et trois cents pieux juifs qui le suivent, revêtent leurs vêtements funèbres, les linceuls et les châles de prière, et élèvent de ferventes prières dans la synagogue, attendant la mort dans le lieu sacré, où les meurtriers les tuent ensuite, un par un. Des massacres similaires ont lieu à Zaslav, Ostrog, Constantinov, Narol, Kremenetz, Bar et dans beaucoup d’autres villes. L’Ukraine ainsi que la Volhynie et la Podolie sont transformés en un immense abattoir.

Les troupes polonaises, en particulier celles sous le commandement courageux du comte Jeremiah Vishniovetzki, réussissent à soumettre les Cosaques et les paysans à plusieurs endroits, annihilant certaines de leurs bandes avec la même cruauté que les cosaques avaient manifestée envers les Polonais et les Juifs. Les Juifs cherchent refuge auprès de ces troupes, et sont accueillies par Vishniovetzki, qui admet les malheureux dans le train des bagages, et, pour employer l’expression d’un chroniqueur juif, prend soin d’eux «comme un père de ses enfants». Après la catastrophe de Niemirov, il entre dans la ville avec son armée et exécute les émeutiers locaux qui ont participé au meurtre des habitants juifs. Cependant, à lui tout seul, il est incapable d’éteindre la flamme de la rébellion cosaque. Car les commandants en chef de l’armée polonaise ne font pas preuve de l’énergie nécessaire en ce moment critique, et Khmelnitzki avec quelque raison les qualifie avec mépris de «matelas de plumes», «jeunots» et «latins» («rats de bibliothèque»).

Depuis l’Ukraine, des bandes de paysans rebelles, ou haidamaks (1), pénètrent dans les villes les plus proches de Biélorussie et de Lituanie. De Tchernigov et Starodub, où les habitants juifs sont exterminés, les meurtriers se déplacent vers la ville de Gomel (juillet ou août). Un contemporain donne la description suivante du massacre de Gomel:

« Les rebelles réussirent à corrompre le chef de la ville, qui livra les Juifs entre leurs mains. Les Grecs (Yevanim, i. e. les Russes orthodoxes grecs) les entourèrent de leurs épées, de dagues et de lances, en s’écriant: «Pourquoi croyez-vous en votre Dieu, qui n’a pas pitié de Son peuple en souffrance et ne le protège pas de nos mains? Rejetez votre Dieu, et vous serez les maître! Mais si vous vous accrochez à la foi de vos pères, vous périrez tous de la même manière que vos frères d’Ukraine, à Pokutye, et de Lituanie ont péri entre nos mains.» Là-dessus, le rabbin Eliezer, notre maître, le président du tribunal (rabbinique), s’exclama: «Frères, souvenez-vous de la mort de nos frères juifs qui ont péri pour sanctifier le nom de notre Dieu! Tendons aussi notre cou sous l’épée de l’ennemi; regardez-moi et faites comme moi!» Aussitôt, des milliers de Juifs renoncèrent à la vie, méprisèrent ce monde et sanctifièrent le nom de Dieu. Le Rosh-Yeshiva fut le premier à offrir son corps en holocauste. Jeunes et vieux, garçons et filles voyaient les tortures, les souffrances et les blessures du maître, qui ne cessait de les exhorter à accepter le martyre au nom de Celui qui avait fait naître les générations des mortels. Comme un seul homme, ils s’exclamaient tous: « Pardonnons-nous nos injures mutuelles: offrons nos âmes à Dieu et nos corps aux flots sauvages, à nos ennemis, la progéniture des Grecs! » Quand nos ennemis entendirent ces mots, ils commencèrent une terrible boucherie, tuant leurs victimes de leurs lances afin qu’elles meurent plus lentement. Maris, femmes et enfants tombaient en tas. Ils n’eurent même pas droit à un enterrement, les chiens et les porcs se nourrissant de leurs cadavres. »

En septembre 1648, Khmelnitzki en personne, à la tête d’une armée cosaque et accompagné de ses alliés tatars, s’approche des murs de Lemberg et commençe à assiéger la capitale de la Russie rouge, ou Galicie. Les Cosaques réussissent à prendre d’assaut et à piller les banlieues, mais ils ne parviennent pas à pénétrer dans le centre fortifié de la ville. Khmelnitzki propose aux magistrats de Lemberg de livrer tous les Juifs et leurs biens entre les mains des Cosaques, en échange de la levée du siège. Les magistrats répondent que les juifs sont sous la juridiction du roi, et les autorités de la ville n’ont aucun droit d’en disposer. Khmelnitzki accepte alors de se retirer, après avoir obtenu de la ville une énorme rançon, dont la plus grande partie est apportée par les Juifs.

De Lemberg, Khmelnitzki poursuit avec ses troupes en direction de Varsovie, où se teient alors l’élection d’un nouveau roi. Le choix tombe sur Jean Casimir, un frère de Vladislav IV, qui avait été Primat de Gnesen et cardinal (1648-1668). Le nouveau roi entre en négociations de paix avec le chef des rebelles, l’ataman Khmelnitzki. Mais, en raison des exigences excessives des Cosaques, les négociations sont rompues et, au printemps de 1649, la flamme de la guerre civile s’embrase de plus belle, accompagnée de la destruction de nombreuses autres communautés juives. Après une série de batailles dans lesquelles les Polonais sont vaincus, un traité de paix est conclu entre Jean Casimir et Khmelnitzki, dans la ville de Zborov. Dans ce traité favorable aux Cosaques, est introduite une clause qui interdit la résidence des Juifs dans la partie de l’Ukraine habitée par les cosaques, les régions de Tchernigov, Poltava, Kiev et en partie de Podolie (août 1649).

Après un an et demi de souffrances et de tortures, les Juifs peuvent enfin pousser un soupir de soulagement. Ceux d’entre eux qui, au seuil de la mort, ont embrassé la foi orthodoxe grecque, sont autorisés par le roi Jean Casimir à retourner à leur ancienne foi. Les femmes juives qui ont été baptisées de force fuient en grand nombre leurs maris cosaques et retournent dans leurs familles. Le Conseil des Quatre Pays, qui se réunit à Lublin à l’hiver 1650, élabore un ensemble de règlements visant à restaurer les conditions normales de la vie domestique et communautaire des Juifs. Le jour du massacre de Niemirov (20 Sivan), qui coïncide avec un ancien jour de jeûne en mémoire des martyrs des Croisades, est désigné comme jour de deuil, pour commémorer les victimes de la rébellion cosaque. Les principaux rabbins de l’époque composent un certain nombre de chants funèbres et de prières déchirants, qui sont récités dans les synagogues à l’occasion de l’anniversaire du 20 Sivan.

Mais le répit accordé aux Juifs après ces terribles événements ne dure pas longtemps. Le traité de Zborov, qui n’est pas satisfaisant pour le gouvernement polonais, n’est pas respecté par lui. Le ressentiment mutuel donne lieu à de nouveaux conflits et la guerre civile reprend en 1651. Le gouvernement polonais convoque la milice nationale, qui comprend un détachement juif de mille hommes. Cette fois, l’armée populaire prend le dessus sur les troupes de Khmelnitzki, avec pour résultat la conclusion d’un traité de paix avantageux pour les Polonais. Dans le Traité de Byelaya Tzerkov, conclu en septembre 1651, de nombreuses revendications des Cosaques sont rejetées, et le droit des Juifs à vivre dans la partie orthodoxe grecque de l’Ukraine est rétabli.

En conséquence, les Cosaques et Ukrainiens grecs orthodoxes se soulèvent à nouveau. Bogdan Khmelnitzki entame des négociations avec le Tsar russe Alexis Michailovich, en vue de l’incorporation dans l’Empire moscovite, avec les droits d’une province autonome, de la partie grecque orthodoxe de l’Ukraine, sous le nom de Petite Russie. Cette incorporation se produit en 1654, et la même année l’armée russe marche sur la Biélorussie et la Lituanie pour faire la guerre à la Pologne. C’est maintenant au tour des Juifs de la région du Nord-Ouest d’endurer leur lot de souffrance.

(1) Ce mot est entré en yiddish avec le sens de bandit de grand chemin.