Ephéméride | LA TRAGÉDIE DU STRUMA [24 Février]

24 FÉVRIER 1942

LA TRAGÉDIE DU STRUMA

768 Juifs roumains et membres d’équipage qui tentent d’échapper au khurbn en émigrant vers la Palestine sont torpillés en Mer Noire par un sous-marin soviétique. Un seul a survécu.

 

Environ 800 000 Juifs vivaient en Roumanie, qui était à l’époque de la Seconde Guerre mondiale un pays satellite du Troisième Reich. Les autorités en place cherchaient à s’en débarrasser par toutes sortes de moyens. Entre 1941 et 1942, des douzaines de lois et de décrets antisémites furent publiés. Le point culminant de la politique anti-juive fut le pogrom de Iaşi, qui eut lieu entre le 27 et le 29 juin 1941, au cours duquel au moins 13 266 juifs furent assassinés à l’instigation du Premier ministre, le dictateur Ion Antonescu.

Alors que partir pour la Palestine était impossible pour les Juifs du Troisième Reich et les territoires qu’il occupait, c’était possible – mais non sans grande difficulté – dans les pays dépendants de l’Allemagne, comme la Roumanie. Une telle tentative fut initiée en 1941, par des membres de l’Organisation des Nouveaux Sionistes et du Betar, qui louèrent pour cela un bateau grec vieux de plusieurs dizaines d’années, le »Struma ». Il devait transporter des Juifs qui risquaient d’être assassinés en Roumanie, vers la Turquie, d’où ils continueraient jusqu’en Palestine.

Le « Struma » n’était, en fait qu’un chaland décati, tout juste adapté pour le transport du bétail sur le Danube, qui pouvait contenir entre 100 et 150 personnes. Cependant, environ 800 personnes, dont plus de 100 enfants, se retrouvèrent sur le « Struma ». Attirés par les publicités pour un voyage «touristique» en Palestine, comme le vantaient les organisateurs, les voyageurs étaient sous le choc en découvrant enfin l’état du bateau. D’autant plus que le prix d’un «billet» équivallait à mille dollars.
Malgré le prix élevé et les conditions abominables, c’était tout de même la seule chance d’échapper à l’Europe, où la survie de la population juive était en danger.
Après quatre jours de formalités et avoir été dépouillés de leurs biens par les douaniers, la foule de gens qui s’étaient présentée au port de Constanta le 8 décembre 1941 se retrouva finalement à bord du navire et en route pour Istanbul, le 12 de décembre.

Battant pavillon panaméen, le « Struma » eut besoin de 4 jours (contre 14 heures habituellement) pour atteindre la ville sur le Bosphore. Du fait de son état délabré et de son moteur défaillant, le navire dut être remorqué à terre par des navires turcs. C’est alors que la tragédie des réfugiés juifs commença – les autorités turques refusèrent de les laisser débarquer, et le navire n’était pas en état de continuer le voyage.

La réticence de la Turquie à aider les réfugiés était due à la situation politique du pays pendant la guerre. Les autorités tentaient de maintenir l’équilibre entre la Grande-Bretagne, avec laquelle elles partageaient un traité de défense depuis octobre 1939, et le Troisième Reich avec lequel la Turquie avait signé un traité d’amitié et de non-agression en juin 1941.
Les Britanniques, peu enclins à accepter des réfugiés en Palestine, s’opposaient à l’admission des passagers de « Struma » au prétexte que la Roumanie, d’où le navire avait appareillé, était en guerre avec la Grande-Bretagne depuis le 7 décembre 1941. La plupart des passagers avaient des passeports roumains, d’autres des passeports hongrois ou bulgares, ils étaient donc tous des citoyens de pays hostiles à la Grande-Bretagne.

Seules 4 personnes, qui possédaient des visas palestiniens valides, reçurent la permission de débarquer et de continuer vers la Palestine.
Les Britanniques prétendaient que les passagers restants poubaient être des agents nazis, car ils arrivaient de territoires hostiles et pouvaient « travailler au service de l’ennemi ».
Les Britanniques ne se laissèrent pas influencer par l’Agence juive pour la Palestine, l’organisation représentant les colons juifs en Palestine, qui arguait que les limites établies dans le « Livre blanc de 1939 » britannique concernant le nombre d’immigrants n’avaient pas encore été atteintes.
Les autorités britanniques ne souhaitaient pas créer un précédent, craignant un afflux massif de réfugiés à l’avenir.
Cependant, le cas des réfugiés non juifs, par exemple les soldats de l’armée Anders et les civils qui les accompagnaient, et qui, après un certain temps, se retrouvèrent en Palestine, fut traité différemment, car on savait que, contrairement aux Juifs, ils ne resteraient pas là en permanence et ne seraient pas un problème.

Dans cette situation, le Premier ministre turc Refik Saydam déclara: « On ne peut pas s’attendre à ce que la Turquie serve d’abri ou de nouvelle patrie pour des personnes qui ne sont pas souhaitées ailleurs ».

L’Agence juive pour la Palestine en appela aux autorités turques et britanniques en janvier et février 1942, mais les appels restèrent sans réponse.
Pendant ce temps, près de 800 personnes restaient bloquées dans des conditions tragiques sur le « Struma », amarré à Istanbul. L’une des quatre personnes qui, possédant des visas palestiniens, fut autorisée à quitter le navire, l’appela plus tard « un cercueil flottant ». Les cabines étaient glaciales et fétides, il n’y avait pas assez de nourriture ou de places pour dormir, le bateau n’avait qu’une seule toilette.
Simon Brod, un commerçant juif d’Istanbul, essaya d’aider les réfugiés; il soudoya les Turcs pour qu’ils réapprovisionnent le navire en eau et en nourriture, mais cela ne suffit pas à couvrir les besoins des réfugiés.

En attendant, la situation est devenue encore plus compliquée. En janvier 1942, le Panama déclara la guerre à l’Allemagne et à ses alliés, en réponse à quoi l’équipage bulgare de « Struma » refusa de servir sur un navire aux couleurs de l’ennemi.
La conférence de Wannsee, au cours de laquelle les Allemands décidèrent des moyens de la solution finale à la question juive, eut également lieu en janvier.

Le 15 février, une dernière chance de sauver les enfants âgés de 11 à 16 ans, dont l’Agence juive pour la Palestine s’engageait à assurer l’entretien, se présenta, mais les autorités turques et britanniques n’y donnèrent pas suite.

L’impasse se prolongea jusqu’au 23 février 1942. 75 jours après avoir quitté Constanţa, le « Struma » fut remorqué hors du port d’Istanbul par les Turcs et abandonné à la dérive sur la mer.

Le lendemain, 24 février 1942, se produisit la tragédie. Le « Struma » fut torpillé par le sous-marin soviétique « Shch-213 » qui patrouillait dans la zone. Environ 500 réfugiés moururent à la suite de l’explosion, le reste périt des suites des blessures, d’épuisement et d’hypothermie.
Les Turcs retardèrent l’envoi des secours, qui arrivèrent finalement 24 heures après l’attaque. Un seul passager fut sauvé – David Stoliar, qui avait 19 ans à l’époque. Il survécut grâce à l’épais manteau qu’il avait reçu de son père avant le voyage. Des années plus tard, Stoliar écrivit: « Immédiatement après l’explosion, j’ai sauté dans la mer. Je me suis accroché pendant environ 24 heures. Je me souviens de l’arrivée du canot de sauvetage turc. »

Stoliar fut envoyé à l’hôpital, d’où – accusé d’être entré illégalement en Turquie – il fut mis en prison pour six semaines. Enfin, les autorités britanniques acceptèrent – pour des raisons humanitaires, comme elles le l’affirmèrent – de le laisser entrer en Palestine. L’autorisation fut accordée contre l’avis de Sir Harold MacMichael, le Haut Commissaire du Mandat britannique de Palestine, qui avertit qu’admettre Stoliar en Palestine créerait un précédent et « saperait complètement notre politique concernant les immigrants illégaux ».
Stoliar lui-même rapporta: « après m’avoir libéré, les gendarmes turcs m’ont escorté jusqu’à la frontière avec la Syrie ». Simon Brod organisa le voyage, en train jusqu’à Alep, puis en voiture jusuq’à Tel Aviv.

La catastrophe du « Struma » suscita des protestations et des manifestations en Palestine et aux Etats-Unis. En Palestine, de nombreuses affiches apparurent, avec l’image du commissaire MacMichael, et la légende « Wanted For Murder ».

Cependant, ces événements ont souvent été négligés, à la fois à l’époque et aujourd’hui, parce que ces Juifs ne sont pas morts directement aux mains des nazis.
Néanmoins, des personnalités exprimèrent leur solidarité avec les victimes; Albert Einstein, par exemple, déclara que la tragédie « frappait au cœur même de notre civilisation », tandis que la première dame américaine, Eleanor Roosevelt, la qualifia de « cruauté qu’il n’y a pas de mots pour décrire ».
Un débat intense eut lieu à la Chambre des Communes, au cours duquel MacMichael fut critiqué pour ses décisions qui montraient un manque d’humanité et une adhésion trop rigide à la réglementation.

Néanmoins, la tragédie permit aux sionistes de comprendre qu’ils ne pouvaient pas compter sur l’aide britannique pour établir leur pays. En mai 1942, lors d’une conférence organisée à New York par David Ben Gourion, alors un des leaders du mouvement sioniste, les sujets de la création et de l’indépendance d’Israël et de la suppression des limites à l’immigration juive en Palestine furent débattus.
À l’époque, les Britanniques furent seulement disposés à annuler l’interdiction d’immigration en Palestine pour les Juifs des régions occupées par le Troisième Reich. Cependant, cela ne se produisit qu’en juillet 1943, lorsque, à la lumière de la Shoah, l’éventualité de l’émigration en masse de Juifs d’Europe de l’Est ne constituait plus un réel danger aux yeux des Britanniques.

Après la guerre, David Stoliar s’installa en Palestine, combattit pour l’indépendance d’Israël et, en 1970, s’installa aux États-Unis, où il mourut en 2014.

Aujourd’hui, plusieurs rues de villes israéliennes portent le nom du « Struma ». Des monuments créés en souvenir de la tragédie ont été érigés. Une synagogue de Beersheva porte le nom du navire.

La catastrophe du « Struma » fut l’un des épisodes les plus tragiques de l’histoire de l’immigration juive en temps de guerre en Palestine.