Ephéméride | Pourim Shushan chez les Indiens Acoma [2 Mars]

2 mars 2018

Pourim Shushan chez les Indiens Acoma.

Parmi toutes les fêtes juives, Pourim a la singulière distinction d’avoir sa date déterminée par le fait qu’une personne habite ou non dans une ville entourée de murs. La distinction vient d’un passage dans la Meguila (Livre d’Esther):

« Mais les Juifs de Shushan (Suse) se rassemblèrent les 13ème et 14ème jour et se reposèrent le 15ème et en firent un jour de festin et de réjouissance. C’est pourquoi les Juifs qui vivent dans des villes sans murailles observent le 14ème jour du mois d’Adar et en font un jour de réjouissance et de fête et un jour férié et une occasion de s’envoyer des cadeaux les uns aux autres.
-Esther 9: 18-9

L’histoire fait la différence entre les Juifs qui ont vécu et combattu leurs ennemis pendant deux jours dans la ville fortifiée de Shushan et ceux qui vivaient dans des villes sans murailles, où un seul jour était nécessaire pour soumettre l’ennemi. Les rabbins ont déterminé que nous devrions faire cette même distinction lors de la commémoration de l’événement. En conséquence, si une personne vit dans une ville qui a été fortifiée depuis les jours de Josué (vers 1250 av. J.-C.), comme Shushan l’était, Pourim est célébrée le quinzième jour du mois d’Adar, un jour appelé « Shushan Pourim ».

Ceux qui vivent dans des villes sans murailles célèbrent le 14, jour que l’on appelle simplement «Pourim». Les sages considéraient que Shushan Pourim était conditionné par la question de savoir si une ville était fortifiée depuis l’époque d’Assuérus; mais ils ne voulaient pas honorer une cité de Perse au détriment d’une cité d’Israël, étant donné qu’Israël était en ruines au moment du miracle de Pourim. Josué fut donc choisi parce que, dans le Livre de l’Exode, c’est le général qui entreprend l’effort d’anéantir les descendants de l’ancêtre d’Haman, Amalek.

En outre, l’époque de Josué est liée à la conquête de la Terre d’Israël par les Israélites, dont le souvenir renforce le thème de la victoire juive de Pourim.

Quand on applique ces critères, les seules villes où il convient de célébrer Pourim Shushan sont Shusan elle-même, qui se trouve aujourd’hui en Iran à 140 kilomètres à l’est du Tigre et où il ne semble pas se trouver de Juifs susceptibles de le faire, et évidemment Jérusalem.

Cependant, les Indiens du Pueblo Acoma, au Nouveau-Mexique, revendiquent, eux aussi, le droit de le faire.

Salomon Bibo est né en 1853 en Prusse, le sixième de onze enfants. En 1866, deux des frères de Salomon pl’artirent pour Amérique et s’installèrent au Nouveau-Mexique qui, en 1848, fut annexé aux États-Unis après avoir été d’abord une colonie espagnole puis une partie du Mexique. Au début, les aînés Bibo, travaillaient pour la famille Spiegelberg, des pionniers marchands juifs du Nouveau-Mexique, puis ils se rendirent dans le petit village de Ceboletta, où ils établirent un comptoir commercial pour échanger des biens avec les Navajos.
En 1869, à l’âge de seize ans, Solomon Bibo quitte l’Allemagne pour l’Amérique. Après avoir passé quelques mois sur la côte est à apprendre l’anglais, il rejoint ses frères à Ceboletta.

Les trois frères Bibo acquirent une réputation d’équité dans leurs relations avec les tribus indiennes locales, qui apportaient aux Bibos les produits agricoles qu’ils cultivaient. À leur tour, les Bibo, sous contrat avec le gouvernement des États-Unis, fournissaient les forts de l’armée dans la région avec ces produits.
Les Indiens étaient payés à un juste prix par les Bibo, ce qui les encouragea à améliorer leurs techniques agricoles. Les Bibos s’impliquèrent aussi beaucoup dans la médiation de nombreux litiges sur la propriété foncière entre les Indiens et les résidents mexicains de la région, qui convoitaient depuis des siècles les terres des Indiens. Ils tentèrent également d’intercéder auprès des Américains blancs locaux (Anglos) qui essayaient d’acheter des terres indiennes à des prix inférieurs à ceux du marché. Les Bibos étaient considérés comme pro-Indien et n’étaient pas particulièrement adoptés par les Mexicains ou par leurs compatriotes anglophones.

Aucun des Bibos ne devint plus cher aux Indiens que Salomon le fut aux Acomas. En 1882, il arriva au pueblo et installa un poste de traite. Il apprit le queresan, la langue des Indiens Acoma, et aida la tribu à mener ses batailles jurdiciaires pour récupérer ses terres traditionnelles. Par un traité conclu en 1877, les Acomas se virent accorder par le gouvernement américain 400 kilomètres carrés de terres, bien moins que ce à quoi les Indiens estimaient avoir droit selon les documents historiques. Les Acomas étaient déterminés à ne pas perdre plus que ce qui leur avait déjà échapper.

Dans ce but, la tribu décida en 1884 d’offrir à Bibo un bail de 30 ans pour toutes ses terres, en échange de quoi il leur paierait 12 000 $, protégerait leur bétail, éloignerait les squatters et exploiterait le charbon sous les terres d’Acoma. il paierait à la tribu une redevance de dix cents pour chaque tonne extraite. Pedro Sanchez, l’agent du bureau des Affaires indiennes de Santa Fe, apprit l’affaire et jaloux du succès du « rico Israelito », il essaya d’obtenir du gouvernement fédéral l’annulation du bail.

La famille Bibo riposta. Simon Bibo adressa une requête au Conseil des commissaires indiens à Washington à l’effet que les intentions de son frère Salomon envers les Indiens étaient les meilleurese et bénéfiques pour eux – parce que « les hommes, les femmes et les enfants l’aiment comme un père et il est de la même manière attaché à eux.  » En 1888, convaincu enfin que Bibo avait agi honorablement, l’agent du bureau du Nouveau-Mexique écrivit: « Aux gens du pueblo d’Acoma, ayant confiance dans la capacité, l’intégrité et la fidélité de Salomon Bibo … Je le nomme par la présente gouverneur de ce pueblo. »

En 1885, Solomon épousa une femme Acoma, Juana Valle, petite-fille de son prédécesseur comme gouverneur du Pueblo Acoma. Juana était à l’origine catholique, mais elle observa la foi juive et éleva ses enfants comme juifs.
En 1898, souhaitant que leurs enfants reçoivent une éducation juive, Solomon et Juana déménagèrent à San Francisco, où il investirent dans l’immobilier et ouvrirent un magasin d’alimentation de luxe. Leur fils aîné fit sa bar-mitsva à l’Ohabei Shalome de San Francisco, et le plus jeune fréquenta le talmud-torah du Temple Emanuel.
Solomon Bibo mourut en 1934, Juana en 1941. Solomon Bibo, gouverneur des Acomas, seul chef indien juif connu en Amérique, est enterré avec sa princesse indienne dans le cimetière juif de Colma, en Californie.

On ne sait pas très bien comment les Indiens Acoma en vinrent à adopter un certain nombre de coutumes juives. Toujours est-il qu’en ce moment-même, ils sont en train de fêter Pourim Shushan.

(Illustrations: 1. Pueblo Acoma 2. célébration de Pourim Shushan au Pueblo Acoma 3. Masque de Purim Shushan acoma.