21 mai 1902
Naissance à Kiev, de Mikhaïl Anatol Litwak, réalisateur, producteur et scénariste américain.
I. Litvak, né dans une famille juive, commence à jouer dans son adolescence dans un théâtre expérimental à Saint-Pétersbourg. En 1923, il commence à travailler dans le cinéma, en réalisant des courts métrages pour les studios Nordkino. Deux ans plus tard, il quitte la Russie pour l’Allemagne et poursuit sa carrière cinématographique jusqu’à ce que la montée des nazis au début des années 1930 le pousse à fuir vers Paris. Il réalise ensuite plusieurs films britanniques et français, notamment Mayerling (1936) avec Charles Boyer et Danielle Darrieux, dont le succès l’amène à Hollywood. Il devient citoyen américain en 1940.
Le premier film américain de Litvak fut « The Woman I Love » (1937), un drame sur la Première Guerre mondiale réalisé chez RKO. Il mettait en vedette Miriam Hopkins, que Litvak épousa plus tard (divorcé en 1939), et Paul Muni. Litvak signa alors avec Warner Brothers, et son premier film pour le studio fut « Tovarich » (1937). La comédie populaire mettait en vedette Boyer et Claudette Colbert, dans des rôles d’aristocrates russes qui, pendant la révolution russe de 1917, fuyaient à Paris, où ils travaillaient comme domestiques tout en sauvegardant la fortune du tsar. Vint ensuite « The Amazing Dr. Clitterhouse » (1938), un drame policier divertissant mettant en vedette Edward G. Robinson en médecin dont les enquêtes sur l’esprit criminel l’amenaient à rejoindre un groupe de voleurs; cependant, il irritait bientôt le leader du groupe (joué par Humphrey Bogart).
Dans « The Sisters » (1938), un drame solide au début des années 1900, Bette Davis jouait une femme ayant fait un mariage malheureux avec un journaliste (Errol Flynn) alors que ses frères et soeurs (Anita Louise et Jane Bryan) se débattent avec leurs propres problèmes.
Plus dans l’actualité était « Confessions of a Nazi Spy » (1939), avec Edward G. Robinson dans le rôle d’un agent du FBI qui mène l’enquête sur une organisation nazie américaine et son chef (Paul Lukas).
Litvak tourna ensuite « Castle on the Hudson » (1940), un remake du film de Michael Curtiz, « 20000 Years in Sing Sing » (1932), avec John Garfield dans le rôle d’un voleur de bijoux condamné à la prison et Ann Sheridan dans le rôle de sa petite amie.
Litvak se vit ensuite confier une production plus prestigieuse, le somptueux « All This, and Heaven Too » (1940), basé sur un roman populaire de Rachel Field à propos d’une gouvernante (Davis) qui tombe amoureuse de son employeur (Boyer) et est ensuite impliquée dans le meurtre de sa femme possessive (Barbara O’Neil). Le drame reçut une nomination aux Oscars pour la meilleure image, et ce fut le plus gros succès commercial de la Warners cette année-là.
Le film suivant de Litvak fut « City for Conquest » (1940), un mélodrame graveleux, avec James Cagney dans le rôle d’un boxeur qui sacrifie tout pour que son frère cadet (Arthur Kennedy) puisse continuer sa carrière de musicien; Sheridan fut choisie comme petite amie de Cagney, et Elia Kazan apparut dans un rôle petit mais haut en couleurs de gangster. Dans « Out of the Fog » (1941), une adaptation romantique de la pièce d’Irwin Shaw « The Gentle People », Garfield était distribué dans le rôle antipathique d’un gangster s’attaquant aux pêcheurs de bord de mer de Brooklyn.
En 1941, Litvak réalisa également « Blues in the Night », un drame ambitieux mais finalement raté sur la vie stressante des musiciens de jazz et de leurs petites amies.
Litvak quitta la Warner Brothers pour Twentieth Century-Fox, mais il n’y fit qu’un seul film, le patriotique « This Above All » (1942) avec Tyrone Power et Joan Fontaine, avant de rejoindre la division des services spéciaux de l’armée pendant la Seconde Guerre mondiale. Là, il travailla avec Frank Capra sur la série de documentaires « Why We Fight », « Prelude to War » (1942), « The Nazis Strike » (1943), « Divide and Conquer » (1943), « The Battle of Russia » (1943), « The Battle of China » (1944), et « War Comes to America » (1945).
Après la guerre, Litvak retourna à Hollywood et réalisa « The Long Night » (1947), un film noir qui s’ouvre sur un homme (Henry Fonda) qui se barricade dans son appartement après avoir tué quelqu’un; à travers des flashbacks, on découvre comment il en est arrivé à cette situation.
Le film fut un échec au box-office pour RKO, mais la production de « Sorry, Wrong Number » (1948), un classique noir, fut un énorme succès. Burt Lancaster y jouait aux côtés de Barbara Stanwyck, nominée aux Oscars pour son incarnation intense d’une héritière paranoïaque et souffrant d’un handicap psychosomatique, qui, au téléphone, entend évoquer des plans pour un meurtre et se rend compte plus tard qu’elle est la victime visée.
« The Snake Pit » (1948) est un récit poignant de traitement dans un établissement psychiatrique. Olivia de Havilland, qui s’était préparée pour son rôle en se joignant à Litvak pour observer le fonctionnement quotidien d’un établissement psychiatrique, fut nominée pour un Oscar. Les autres nominations du film concernaient la meilleure image, et Litvak reçut sa seule nomination pour meilleur réalisateur.
Ce triomphe fut suivi par le thriller « Decision Before Dawn » (1951), avec Oskar Werner dans le rôle d’un prisonnier de guerre allemand qui accepte d’espionner les nazis pour le compte des États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale. Litvak, revenu vivre en France en 1949, utilisa des sites allemands authentiques pour ajouter de la vraisemblance.
Beaucoup de films suivants de Litvak furent des productions européennes. « Un Acte d’amour » (1953; Act of Love) était l’histoire banale d’un soldat américain (Kirk Douglas) faisant la cour à une jeune femme française (Dany Robin) à Paris, et « The Deep Blue Sea » (1955), basé sur une pièce de Terence Rattigan, avait pour vedette Vivien Leigh en femme suicidaire qui a quitté son mari pour vivre avec un autre homme, mais se retrouve piègée dans le désespoir.
« Anastasia » (1956) fut le meilleur film de Litvak de la décennie. Ingrid Bergman jouait une réfugiée amnésique qui incarne la fille de Nicolas II depuis longtemps disparue à la demande d’un escroc (Yul Brynner). C’était le premier film américain de Bergman en sept ans, et elle remporta un Oscar (son deuxième) de meilleure actrice.
Brynner travailla de nouveau avec Litvak dans « The Journey » (1959), un long drame situé à Budapest après la révolution de 1956; il y joue un officier communiste qui tombe amoureux d’une noble Anglaise (Deborah Kerr) qui cherche désespérément à s’échapper vers Vienne.
« Goodbye Again » (1961) mettait en scène Ingrid Bergman en décoratrice d’intérieur qui, contrariée par le fait que son petit ami de longue date (Yves Montand) la trompe continuellement, commence à fréquenter un homme beaucoup plus jeune (Anthony Perkins).
« Le Couteau dans la plaie » (1963, Five Miles to Midnight) était une histoire de meurtre, dans laquelle Anthony Perkins incarnait un mari abusif qui essaye de monter une escroquerie à l’assurance avec l’aide de son épouse (Sophia Loren). « La Nuit des généraux » (1967), centrée sur le meurtre d’une prostituée à Varsovie pendant la Seconde Guerre mondiale, mettait en vedette Peter O’Toole, Omar Sharif et Christopher Plummer.
Le dernier film de Litvak fut un thriller psychologique « The Lady in the Car with Glasses and a Gun » et (1970), avec Samantha Eggar et Oliver Reed.
Litvak prit ensuite sa retraite du cinéma.
Il s’éteignit le 15 décembre 1974 à Neuilly
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II. « Confessions of a Nazi Spy », sorti en 1939 fut le premier film ouvertement anti-nazi produit par un grand studio de Hollywood. Hollywood se montra longtemps particulièrement timide sur le sujet et, concernant, le sort des Juifs, cette timidité se prolongea même jusqu’à la fin.
En 1942, la Shoah n’était plus un secret. Le New York Times avait annoncé, dans les dernières pages de son édition du 25 juin 1942, qu’un million de Juifs avaient déjà été massacrés en Europe de l’Est. Le 24 novembre, le rabbin Stephen Wise, un allié politique de Roosevelt, avait confirmé publiquement que Hitler poursuivait son plan d’extermination des Juifs d’Europe. « Des millions de personnes, la plupart juives, sont rassemblées avec une efficacité impitoyable et assassinées « , avait déclaré Edward R. Murrow dans son émission de Londres du 15 décembre. Deux jours plus tard, Roosevelt fit un discours promettant que les crimes des nazis seraient punis, mais il ne mentionna à aucun moment que les Juifs étaient la cible principale de ces politiques.
Le fait que Roosevelt n’ait pas mentionné les Juifs dans sa dénonciation des crimes de guerre nazis démontre l’existence d’une contre-force puissante à l’œuvre dans les années 30 et 40: la recrudescence de l’antisémitisme américain.
Plus d’une centaine d’organisations publiaient des journaux qui crachaient la même haine que l’Allemagne. (Dans ces milieux, l’administration Roosevelt était désignée sous le nom de «Jew Deal».) L’antisémitisme allait souvent de pair avec l’isolationnisme, comme il le fut plus tard avec le maccarthysme.
Trois semaines avant Pearl Harbor, Jack Warner, un des leaders du mouvement anti-nazi à Hollywood, fut vivement critiqué par un comité du Sénat pour faire partie d’un «monopole juif» qui utilisait le cinéma comme outil de propagande pour entraîner l’Amérique dans la guerre.
Les partisans de Hitler profitèrent de ce climat pour intimider les producteurs juifs. L’ambassadeur américain en Angleterre, Joseph Kennedy (le père de John Kennedy), vint à Hollywood et convoqua une réunion dans ce but précis.
« Il a apparemment foutu la frousse à plusieurs de nos producteurs et dirigeants en leur disant que les Juifs étaient dans le coup, et qu’ils devraient arrêter de faire des films anti-nazis », écrivit Douglas Fairbanks Jr. à Roosevelt en novembre 1940. « Il a dit que l’antisémitisme grandissait en Grande-Bretagne et que les Juifs étaient rendus responsables de la guerre. . . . Il a continué en soulignant que l’industrie du cinéma utilisait son pouvoir pour influencer le public dangereusement et que nous tous, et les Juifs en particulier, seraient en danger, s’ils continuaient à abuser de ce pouvoir. »
« À la suite de l’appel de Kennedy en faveur du silence, » écrivit Ben Hecht plus tard, « tous les Juifs de Hollywood se promenaient avec leur affliction dissimulée comme un petit renard juif sous la veste d’un Gentil.
Même après Pearl Harbor, utiliser le cinéma pour rallier la nation signifiait supprimer toute référence à la politique de Hitler d’assassinat systématique des Juifs, de sorte que l’Amérique Bund (une puissante association pro-allemande) ne puisse pas prêcher que les Américains étaient en train d’être enrôlés pour combattre « une guerre juive ».
D’après les sondages, l’antisémitisme américain atteignit son apogée en 1944.
Une autre raison de se taire pour Hollywood était la peur des représailles. Avant l’entrée en guerre de l’Amérique, le consul allemand à Los Angeles, George Gyssling, se battit pour empêcher la production de films anti-nazis. Sa carte maîtresse était la menace qu’Hitler infligerait des souffrances aux Juifs s’il était en colère, et en particulier aux proches de ceux qui réalisaient les films. Quand un producteur indépendant annonça son intention de tourner « I Was a captive of Nazi Germany » (1936), Gyssling convoque les acteurs d’origine allemande dans la distribution et menaça leurs proches en Europe. Beaucoup d’émigrés utilisèrent des faux noms pour ce film et pour « Confessions of a Nazi Spy ». Warner, qui voulait un « casting entièrement non-aryen » avec un autre activiste antinazi, Edward G. Robinson, en tête d’affiche fut contraint de tourner son film sur la côte Est.
Luigi Luraschi, le censeur de la Paramount, exprima son inquiétude dans une lettre adressée au chef de l’Association du Code de Production lorsque Warner Bros. annonça ses projets pour les « Confessions.. ». Il avertissait qu’en faisant un film de ce genre, les réalisateurs auraient le sang de nombreux Juifs sur les mains.
« Ils n’ont pas tenu compte de la décision de Charles Chaplin d’abandonner son film burlesque sur Hitler », écrivait Luraschi. « Chaplin a annoncé, et nous pensons à juste titre, qu’en faisant un film de ce genre, il consacrerait ses talents lucratifs à un film qui pourrait avoir d’horribles répercussions sur les Juifs restés en Allemagne ».
Dan James rappelle dans son documentaire « Brownlow », que Chaplin avait effectivement annulé « The Great Dictator « et ne reprit le projet que lorsque Roosevelt envoya l’architecte du New Deal, Harry Hopkins, pour lui dire que le film devait être fait. Cela jette une nouvelle lumière sur le rôle de Roosevelt à Hollywood avant la guerre, qui n’a pas toujours été aussi encourageant.
L’antisémitisme parmi le public posait ses propres problèmes. Luigi Luraschi, qui avait craint des représailles nazies avant la guerre, trouva de nouveaux sujets d’inquiétude quand son propre studio sortit le film anti-nazi le plus scandaleux, « The Hitler Gang » (John Farrow), en 1944. Après qu’un collègue du département du marketing à l’étranger eut rapporté que certains de ses associés à New York « trouve que le film est tout-à-fait incomplet sans des séquences réalistes montrant les pogroms contre les Juifs », Luraschi écrivit: « Le public ici est divisé. Sur la question juive, les Juifs eux-mêmes sont les plus divisés. Certains aimeraient en voir plus et d’autres moins. Je suis enclin à être d’accord avec ces derniers.
Plus tard, il rapporta qu’il y avait eu des applaudissements dans un cinéma de Boston après la diatribe de Hitler contre les Juifs. Le discours devait-il être coupé dans toutes les copies?
La quasi-absence du mot Juif dans les films réalisés pendant la période de la Shoah n’était pas une censure du genre habituel – c’était un tabou qui, une fois rompu, pouvait avoir le pouvoir de faire jaillir un démon.
Un film qui faisait référence aux attitudes allemandes à l’égard des Juifs étaient aussi un miroir tendu au public divisé du cinéma, et les films qui en parlaient en tenaient compte.
