31 mai 1976
Décès à Tel-Aviv de Rokhl Oyerbach (Rachel Auerbach), une des trois survivantes du Oyneg Shabes, le groupe d’archivistes et chroniqueurs du ghetto de Varsovie, autour d’Emmanuel Ringelblum.
Rachel Auerbach est née en 1903 à Lanowitz, un shtetl dans la Podolie russe (aujourd’hui Lanovtsy en Ukraine).
Bien que la famille ait déménagé plus tard à Lwów, son enfance rurale la marqua d’un amour profond pour le yiddish et le folklore juif. Elle reçoit aussi une éducation dans la langue polonaise. Après des études secondaires au lycée Adam Mickevicz, elle étudie la psychologie et la philosophie à l’Université de Lwów. Elle s’y lie d’amitié avec les poètes Dvora Fogel et Bruno Schulz, et collabore à Tsushtayer, un journal fondé par Melech Ravitch pour promouvoir la culture yiddish en Galicie, une région où la majorité de l’intelligentsia juive parlait le polonais.
Militante sioniste, elle devient journaliste. Elle commence sa carrière d’écrivaine en 1925 comme journaliste pour Chwila, un quotidien sioniste en polonais publié à Lwow. Dans la seconde moitié de la décennie, elle a travaillé pour le quotidien Morgen Yiddish en tant que rédactrice et écrivaine. Entre 1929 et 1930, elle a publié une chronique littéraire dans un hebdomadaire publié par le mouvement Poalei Zion [1]. Elle était rédactrice de Tsushtayer, une revue littéraire yiddish, et coéditrice et collaboratrice de Yidish, une autre revue galicienne qui mettait l’accent sur le mouvement culturel.
En 1933, elle s’installe à Varsovie. Elle est active dans les cercles yiddish et notamment de l’YIVO. Elle écrit des critiques littéraires et des articles sur la psychologie en yiddish et en polonais. Elle devient la compagne du poète Itzik Manger dont elle préservera les manuscrits dans les archives Ringelblum après que celui-ci ait quitté la Pologne en 1938.
En septembre 1939, l’historien et travailleur humanitaire Emanuel Ringelblum lui demande d’aider à organiser des soupes populaires à Varsovie. Deux ans plus tard, il l’invite à rejoindre son d’organisation d’archives clandestine, les « Oyneg Shabes ».
À sa demande, elle écrit un article sur la soupe populaire au 40, rue Leszno. Dans cette contribution importante à l’histoire sociale du ghetto, elle décrit ses collègues hauts en couleur et imprévisibles et les Juifs désespérés qui supplient pour des bols supplémentaires de soupe qu’elle peut rarement fournir. Elle est en première ligne du combat du ghetto contre la famine, et elle comprend rapidement qu’elle mène une bataille perdue.
Outre son article sur la soupe populaire, elle enregistre le témoignage d’Avrom (Yankev) Krzepicki, un évadé de Treblinka retourné dans le ghetto de Varsovie en septembre 1942 et qui y périt plus tard. Elle tient également un journal en polonais.
En mars 1943, elle s’échappe du «côté aryen» de Varsovie. Adolf et Basia Berman l’enrôle comme courrier pour la résistance juive.
En 1943 et 1944, Auerbach écrit certains de ses articles les plus importants (principalement en polonais). Quand ils seront récupérés après la guerre, ils deviendront la base d’une grande partie de ses écrits ultérieurs.
« Yizker », écrit en yiddish en 1943, est une élégie particulièrement saisissante sur la vie juive de Varsovie – et sa seule oeuvre traduite en anglais. Il contient plusieurs des thèmes qui marqueront ses livres d’après-guerre: l’importance de la culture qui a été détruite; l’humanité et l’identité sparticulière des victimes; la responsabilité de se souvenir; et la difficulté de trouver des mots appropriés pour exprimer l’énormité de la perte.
Après la guerre, elle est l’une des trois seuls survivants de l’équipe d’Oyneg Shabes, et participe à la recherche des archives qui avaient été enterrées par le personnel lors de la destruction du ghetto.
De 1945 à 1950, date à laquelle elle émigre en Israël, elle recueille des témoignages de survivants à l’Institut historique juif de Varsovie, notamment sur Treblinka.
En Israël, elle publie de précieux mémoires sur l’élite culturelle juive dans le ghetto de Varsovie et sur sa propre expérience.
De 1954 à 1968, elle travaille à Yad Vashem, où elle organise la collecte de témoignages sur la Shoah. Elle s’y oppose au premier directeur de Yad Vashem, l’historien Dinur, qui selon elle néglige trop les témoignages en yiddish au profit de ceux en langue allemande.
Elle s’oppose publiquement à la normalisation des rapports germano-israéliens. Elle écrit en yiddish sur la vie à Varsovie avant la guerre, dans le ghetto et en Israël.
En 1967, son conflit public avec Jean-François Steiner à propos de son récit fictif sur Treblinka reflète sa détermination à lutter contre ce qu’elle qualifie de distorsions et d’inexactitudes dans les représentations de la Shoah.
Rokhl Oyerbach meurt à Tel-Aviv le 31 mai 1976 à l’âge de 72 ans.
Les lecteurs en yiddish pourront trouver quatre de ses ouvrages dans les archives digitales du Yiddish Book Center
– Der Yidisher oyfshṭand, Ṿarshe 1943
דער יידישער אויפשטאנד, ווארשע 1943
– In land Yiśroel reporṭazshn, eseyen, dertseylungen
אין לאנד ישראל : רעפארטאזשן, עסייען, דערציילונגען
– Oyf di felder fun Ṭreblinḳe
אויף די פעלדער פון טרעבלינקע
– Baym letṣtn ṿeg
ביים לעצטן וועג
A ma connaissance, aucun de ses livres n’a encore malheureusement été traduit en français.
