29 août 1288
Le pape Nicolas IV écrit à l’empereur Rodolphe pour réclamer la libération de Meïr de Rothenburg, le Maharam, qu’il détient en otage.
Le rabbin Meir ben Baruch, plus connu sous le sigle «MaHaRaM» (Moreinu Horav Reb Meir) de Rothenburg, Talmudist et Paytan (poète religieux), naquit à Worms, en Allemagne, il y a près de huit siècles, vers 1220.
Dans sa jeunesse, il étudia à Wurtzburg et à Mayence dans les Yeshivoth des principaux talmudistes de l’époque.
Il se rendit ensuite dans les Yeshivoth réputées de France, en particulier dans la Yeshivah du grand Rabbi Jehiel ben Joseph de Paris. Rabbi Jehiel était renommé comme un saint rabbin et un talmudiste exceptionnel, et c’est lui qui défendit le Talmud au cours de la fameuse disputation ordonnée par Louis IX. Le Talmud fut néanmoins, comme prévu, condamné à être brûlé le vendredi 17 juin 1244 (Chukath, 5004, Erev Shabbo), à Paris. Rabbi Meir fut le témoin oculaire de l’incendie public de 24 chargements de manuscrits talmudiques et cette tragédie lui inspira sa célèbre élégie « Shaali serufah » qui est, jusqu’à nos jours, récitée lors de l’office de Ticha Be Av.
Après avoir fui la France, Meir Ben Baruch retourna en Franconie où il officia comme rabbin dans les villes de Kostnitz, Augsbourg, Würzburg, Rothenburg, Worms, Nuremberg et Mayence. Cet ordre est probablement chronologique; Mais on ne sait pas grand chose sur les mandats de Meir ben Baruch dans ces différentes communautés. On sait toutefois que sa résidence à Rothenburg fut certainement la plus longue (selon certaines sources, Meir Ben Baruch passa jusqu’à 30 ans dans la ville).
Meir Ben Baruch, était probablement à la fin de la trentaine, lorsqu’il arriva dans la ville de Rothenburg ob-der-Tauber, ville dont il allait porter le nom. Lui et ses élèves s’installèrent rapidement dans ce que l’on appelle aujourd’hui la Judengasse. Meir Ben Baruch était un homme aisé, peut-être même riche. A Rothenburg, il avait des appartements différents pour l’été et pour l’hiver. Sa célèbre Yeshivah, également située dans sa maison, avait des chambres séparées pour chacun de ses élèves, tous entretenus à ses frais.
Pendant son séjour à Rothenburg, Meir Ben Baruch devint l’un des principaux érudits religieux de son temps – « Notre Maître et Rabbi Meir de Rothenburg, le Maharam » (מורינו הרב מאיר – המהר »ם).
Le Maharam devint l’autorité principale de son temps sur le Talmud et la loi juive, et de nombreuses communautés en France, en Italie et en Allemagne se tournaient vers lui pour obtenir ses avis en matière religieuse et légale. Des titres affectueux et rares lui étaient décernés dans leurs correspondances, comme « Père des rabbins » ou « Lumière de l’exil ».
Parmi ses élèves, on comptait de nombreux érudits qui devinrent eux-mêmes ultérieurement des talmudistes et codificateurs éminents tels Rabbi Asher ben Jehiel et Rabbi Mordecai ben Hillel.
On estime que le Maharam donna humblement son avis et ses conseils à toutes les requêtes, et les 1500 « Responsa » qui ont été conservées, sont d’une grande importance non seulement pour les étudiants du Talmud, mais aussi pour les chercheurs sur la vie juive et les coutumes de l’époque.
A la question de savoir si un avocat pouvait utiliser des arguments qu’il savait notoirement faux dans l’intérêt de son client, il répondit: « Aucun Juif n’a le droit de se rendre coupable d’un péché aussi ignominieux contre la vérité et la justice ».
Une autre de ses décisions importantes concernait la question de l’extorsion de fonds. Le Maharam jugea que les Juifs rachetés contre rançon devaient rembourser la communauté dans tous les cas; et que cette dernière, en cas de besoin, avait non seulement le droit, mais le devoir de saisir, la propriété des prisonniers, même contre leur gré, pour payer la rançon. Le Maharam fonda sa décision sur le fait que dans de tels cas, la rançon n’était pas une affaire privée, mais concernait les communautés juives et que l’individu devait donc être contraint d’abandonner ses biens pour sa libération, même s’il préférait personnellement la prison à la pauvreté.
Cependant, l’emprisonnement et l’extorsion ne représentaient qu’une petite partie des problèmes auxquels les Juifs devaient faire face à l’époque. C’étaient les temps des croisades et la ferveur religieuse chrétienne était à son apogée. Le chemin de l’apothéose ou du pardon de Dieu, le plus souvent, reposait plus que souvent sur une traînée de carnage et de mort. L’une des communautés qui payèrent un lourd tribut fut la communauté juive d’Europe.
En plus du brûlement du Talmud à Paris en 1242, des livres juifs furent également brûlés en Angleterre. En Autriche, les biens appartenant à des Juifs étaient confisqués. Les Juifs étaient convertis de force et ceux qui refusaient étaient emprisonnés, expulsés ou brûlés sur le bûcher.
En 1244, la populace attaqua les Juifs à Oxford. En 1255, la première accusation de meurtre rituel eut lieu à Lincoln. Elle provoqua les bûchers, la torture et la pendaison publique pour de nombreux juifs. Ces événements furent suivis par des pogroms à Canterbury en 1261 et à Londres en 1262 et 1264.
La même année, les communautés juives de Franconie commencèrent à être englouties par la persécution. Le Conseil de Vienne déclara que tous les Juifs devaient porter un « bonnet d’âne pointu » et des milliers furent assassinées. Trois ans plus tard, les Juifs furent forcés de porter des chapeaux à cornes.
En 1270, des Juifs furent brûlés vifs à Weissenberg, Magdebourg, Arnstadt, Coblence, Singzig et Erfurt. Tandis qu’en Angleterre, tous les hommes, femmes et enfants juifs furent condamnés à la prison et des centaines pendus sous la fausse accusation de fabriquer de la fausse monnaie.
En 1276, tous les juifs bavarois furent expulsés. En 1279, le Conseil d’Offon refusa aux Juifs le droit à toutes les fonctions civiques et les Juifs de Hongrie et de Pologne furent forcés de porter la « marque rouge de la honte ».
En 1283, des foules s’en prirent aux Juifs à Mayence et Bacharach et deux ans plus tard des Juifs furent brûlés vifs à Munich.
Les archives montrent que le Maharam dirigea la communauté juive de Mayence de son vivant. Les dates exactes sont incertaines. Peut-être assista-t-il aux événements de Mayence sur place. Peut-être entendit-il parler des massacres de son ancienne congrégation alors qu’il vivait dans l’une des villes voisines. Ou peut-être arriva-t-il après les tueries pour aider à reconstruire une communauté brisée. On ne le saura probablement jamais.
Ce que l’on sait, c’est qu’en 1286, le meurtre, le pillage, l’incendie criminel et l’extorsion étaient des événements quotidiens pour les Juifs. Le Maharam décida qu’il était temps de quitter la Franconie. Il était temps pour lui, ses élèves, sa famille et ses amis de cesser de vivre dans la peur constante pour leur vie.
Il était temps de rassembler ses affaires, de rassembler ses compagnons, de quitter ce misérable pays et de prendre la route de Sion.
Le roi, cependant, ne voyait pas d’un bon oeil que des Juifs aisés quittent son territoire avant de pouvoir les priver de leurs richesses – et donc la chasse au Maharam commença.
Le Maharam ne termina pas son voyage.
Le voyage commença bien cependant et, au printemps, le Maharam atteignit les montagnes de Lombardie où il avait l’intention de s’arrêter dans l’attente de ses compagnons. On ne sait pas avec certitude si le Maharam était au courant que la chasse lui était donnée mais il devait se douter que sa fuite ne serait pas acceptée sans réaction par les autorités.
Dans les dernières années du treizième siècle, l’emprisonnement et l’extorsion des Juifs étaient une bonne affaire, en particulier pour les dirigeants locaux. Le Maharam était à la tête d’une troupe d’émigrants qui, s’ils avaient réussis à s’enfuir, auraient gravement porté atteinte au trésor impérial. Cette émigration de Juifs aisés devait être stoppée à tout prix – et la capture d’un riche et éminent chef religieux en fuite était un bon point de départ.
Au printemps de 1286, en traversant la Lombardie avec sa femme, ses filles, ses gendres et toute sa famille, Rabbi Meir fut reconnu par un Juif converti dénommé Kneppe, qui faisait partie de la suite du prince-évêque. de Bâle. Peu après, le 28 juin 1286, le comte Meinhard de Goriz, seigneur de la ville, saisit le Maharam et le livra au roi Rodolphe.
Sur l’ordre du roi, le Maharam fut promptement emprisonné dans la forteresse d’Ensisheim, près de Colmar, et retenu contre rançon. Rodolphe Ier savait que le chef religieux de la communauté juive européenne allait rapporter une somme considérable et, de fait, la somme de 20000 marks (30000 selon certaines sources), un montant exorbitant pour l’époque, fut réunie par ses élèves et les communautés juives de l’Europe entière, pour sa libération.
Le Maharam, cependant, interdit à ses amis et partisans de payer la rançon. Il savait qu’une fois la rançon payée, tous les rabbins de renom en Europe pourraient être arrêtés et détenus contre rançon, ce qui pourrait paralyser des communautés entières si cette pratique se répandait.
Ainsi, le Maharam, ayant fondé sa décision sur la Mishna –
« ne rachetez pas des captifs pour plus de leur valeur, afin de réparer le monde » – choisit de rester en prison, et même d’y mourir, afin de sauver d’autres d’un destin similaire.
Le Maharam resta prisonnier dans les cachots de la forteresse pendant sept ans jusqu’à sa mort en 1293, à l’âge de 78 ans. Pendant ce temps, ses élèves étaient parfois autorisés à le rencontrer et il put composer plusieurs de ses œuvres entre les murs de sa prison. Même en prison, il se consacra uniquement à l’étude et à l’enseignement. Il écrivit ou révisa une grande partie de ses œuvres; et ses « responsa » prirent maintenant la place de son enseignement oral.
Après sa mort, son corps ne fut restitué que 14 ans plus tard, lorsqu’une lourde rançon fut finalement levée par un Juif généreux, Alexander Suskind Wimpfen de Francfort. En échange, Alexander Suskind demanda seulement qu’après sa propre mort, sa dépouille soit enterrée aux côtés du Maharam.
Son vœu fut exaucé lorsqu’il mourut un an plus tard, et dans le vieux cimetière juif de Worms, le plus ancien d’Europe, deux pierres tombales se dressent côte à côte, l’une pour Rabbi Meir ben Baruch, le Maharam de Rothenburg, l’autre pour Alexander Suskind Wimpfen, de Francfort.
