8 septembre 1264
Boleslaw le Pieux, duc de Grande-Pologne, publie la Charte générale des libertés juives.
Plus connue sous le nom de Statut de Kalisz, la charte contenait un ensemble de 36 conditions imposant les droits et privilèges de la communauté juive de Pologne.
Boleslaw (né vers 1224, décédé en 1279) était le fils de Wladyslaw Odonic qui, avec son frère Przmesyl, avait progressivement reconquis les terres perdues par leur père. Entre 1257 et 1273, il fut duc de Grande-Pologne et Poznan. Pendant son règne, des parties de la Pologne furent envahies et pillées par les Mongols.
Le duc invita des Juifs et d’autres habitants d’Allemagne à s’installer en Pologne pour aider à la reconstruire. Sa charte peut être considérée comme participant d’un effort pour que les Juifs se sentent bienvenus et en sécurité, à un moment où l’Église cherchait, au contraire à limiter leurs possibilités d’intégration dans la société.
Néanmoins, le statut de Kalisz allait très loin dans les garanties qu’il offrait aux Juifs et a même été décrit comme une des premières tentatives de délimiter les « droits de l’homme » au sens moderne du terme.
Bien que basé sur des chartes similaires qui avaient été publiées peu avant en Autriche (1244) et en Bohême (1254), le statut de Kalisz était le plus ambitieux. Ses 36 points, rédigés en latin, garantissaient aux Juifs le droit de gérer leurs propres affaires internes et de juger les affaires devant les tribunaux juifs, sauf dans les affaires impliquant des chrétiens et des Juifs, qui devaient alors être jugées devant un tribunal royal plutôt qu’un tribunal ecclésiastique.
L’assassin d’un Juif était passible de « la peine appropriée », plus la confiscation de tous ses biens, et « partout où un Juif traversera notre territoire, personne ne devra lui opposer d’empêchement ni le molester ni lui causer des ennuis ».
Non seulement cela, mais il était interdit aux chrétiens de vandaliser les synagogues ou les cimetières juifs, et ils étaient punis s’ils le faisaient. Et si un Juif appelait au secours dans la nuit et que ses voisins chrétiens ne lui venaient pas en aide, « ou ne faisaient pas attention à l’appel, chaque voisin chrétien voisin serait passible d’une amende de trente shilling ».
D’autres clauses traitaient des conditions dans lesquelles les Juifs pouvaient consentir des prêts et des mesures qu’ils pouvaient prendre lorsqu’un prêt n’était pas remboursé. Une autre interdisait aux chrétiens: « Selon les ordonnances du pape, au nom de notre Saint-Père, d’accuser les Juifs de tuer des enfants chrétiens pour leur sang », puisque selon le précepte de leur loi, tous les Juifs s’abstiennent totalement de consommer du sang. « Quiconque souhaitait porter une telle accusation avait l’obligation de produire trois témoins chrétiens et trois témoins juifs du crime pour qu’il soit établi ».
Les termes du Statut de Kalisz furent confirmés par les rois polonais ultérieurs au 16ème siècle et servirent de base aux privilèges juifs en Pologne et en Lituanie jusqu’à la fin du 18ème siècle, lorsque la Pologne ayant été entièrement partagée entre ses voisins russes, autrichiens et prussiens, disparut pour un siècle et quart.
En conséquence, pendant plus de six siècles, la civilisation juive prospéra en Pologne. Les Juifs constituaient un quasi-état autonome, avec sa langue officielle, le yiddish. Les Juifs avaient leurs propres statuts, écoles, synagogues et même tribunaux en yiddish. Le hassidisme se développa en Pologne, tandis que Cracovie devint un centre majeur de recherche talmudique. Les Juifs ont joué un rôle clé dans l’économie de la Pologne, constituant une partie importante de la classe des marchands et possédant la plupart des tavernes villageoises.
La charte entraîna aussi un retour de flamme de la part des responsables de l’Église qui, à diverses époques et dans différentes villes, tentèrent d’imposer diverses restrictions telles que: habitat séparé, vêtements ou symboles identifiables, interdiction d’exercer des fonctions publiques, avec un succès mitigé en général.
Dans les années 1920, l’artiste Arthur Szyk, un fier Juif polonais, peignit une série d’enluminures illustrant la vie juive en Pologne, accompagnée du texte du Statut de Kalisz, en sept langues. Les originaux de ces miniatures se trouvent aujourd’hui dans la collection du Jewish Museum, à New York.
Extraits du Statut de Kalisz
1. Dans tous les cas concernant la propriété ou la personne d’un juif, aucun chrétien ne peut être admis en témoignage contre un Juif, à moins que le témoignage du chrétien ne soit accompagné par celui d’un juif.
8. Les autorités municipales ne sont pas compétentes dans les affaires juives, qui restent entre les mains du prince ou de sa cour palatine ….
9. Si un chrétien blesse un juif, il sera condamné… Il supportera en outre les frais des dommages et dépenses subis par la victime.
10. Si un chrétien assassine un juif, il sera puni et tous ses biens seront confisqués.
12. Un Juif peut aller où il veut. Il sera obligé de payer à chaque endroit les taxes locales et les droits portant sur son commerce, mais il ne paiera pas d’autres impôts que ceux dus par les citoyens locaux.
14. Si un chrétien commet une déprédation dans un cimetière juif, il sera sévèrement puni par la confiscation de tous ses biens.
15. Si quelqu’un attaque une synagogue juive avec des pierres, il sera condamné à payer deux livres de poivre à la cour palatine.
20. Si un Juif a été secrètement assassiné et qu’il n’ya pas de témoin pour identifier le meurtrier et si certains Juifs, au cours de l’enquête, déclarent leurs soupçons, le duc en tant que médiateur accordera à ces Juifs sa protection devant la cour.
26. Si quelqu’un, homme ou femme, enlève un enfant juif, il sera puni comme un voleur.
29. Tout chrétien retirant de force un article mis en gage auprès d’un Juif ou usant de violence dans sa maison sera sévèrement puni comme contrevenant à la justice.
30. Les Juifs ne peuvent être poursuivis que devant leurs propres tribunaux ou dans des lieux où les Juifs ont
coutume d’être jugés; seule exception est faite pour le duc ou sa cour palatine, qui peut toujours convoquer les Juifs ….
31. Il est absolument interdit d’accuser les Juifs de boire du sang humain. Si néanmoins un Juif est accusé du meurtre d’un enfant chrétien, une telle accusation doit être prouvée par le témoignage de trois chrétiens et trois Juifs avant que le Juif puisse être condamné. Si, cependant, les dits témoins et l’innocence de l’accusé révèlent la fausseté de l’accusation, l’accusateur devra souffrir le même châtiment que celui qui aurait attendu le Juif.
35 Si un Juif en détresse appelle à l’aide dans la nuit et que ses voisins chrétiens ne se chargent pas eux-mêmes de le secourir dans sa détresse, chacun de ces chrétiens sera condamné à une amende de 30 szelags.
