En 1961, la voix puissante et cristalline de Nechama Hendel fut entendue pour la première fois à la radio israélienne (Kol Israel), interprétant sa propre version en hébreu de la célèbre chanson yiddish « Dona Dona » (paroles d’Aaron Zeitlin, mélodie de Shalom Secunda).
À la demande générale, l’enregistrement fut diffusé fréquemment. De toute évidence, son texte avait touché le public israélien, déplorant la condition tragique des Juifs russes victimes des pogroms du début du XXe siècle, tout en exprimant espoir et force :
Les veaux sont facilement ligotés et abattus
Sans jamais savoir pourquoi
Mais celui qui chérit la liberté
Comme l’hirondelle a appris à voler
Cette version de « Dona Dona », qui suscita l’admiration des Israéliens de tous horizons, devint l’une des marques de fabrique musicales de Nechama Hendel tout au long de sa carrière intense sur la scène. Grâce à cet enregistrement et à ses autres interprétations de chansons juives et israéliennes, ainsi que de chansons d’autres cultures et pays, elle se classe parmi les chanteuses les plus importantes qu’Israël ait jamais produites.
Enfance et éducation
Enfant, Hendel rêve de devenir actrice. Passionnée de théâtre toute sa vie, elle participe même à des pièces de théâtre, des comédies musicales et des films, mais le chant devient progressivement sa principale occupation.
Nechama Hendel nait le 22 août 1936 à Jérusalem, où sa famille est installée dans le quartier bourgeois de Rehavia. Ses deux parents avaient immigré en Palestine depuis la Pologne. Son père, Michael Hendel (1899-1965), était né à Bolochow (Bolokhuv) et sa mère, Chana Foyerstein (1900-1986), à Varsovie. Son père fut pendant de nombreuses années inspecteur en chef de l’histoire au ministère israélien de l’Éducation. Sa sœur aînée, Tamar Gadot, est née en 1934.
Après avoir terminé ses études primaires et secondaires avec succès, Hendel étudie pendant une année à l’Université hébraïque. En 1954, dans le cadre de son service militaire, elle rejoint la troupe militaire de spectacles Nahal, la plus connue et la plus respectée de ces troupes. Elle y acquiert de l’expérience en tant qu’interprète et s’impose comme l’une des chanteuses les plus en vue du groupe. Après son service militaire, elle se rend à Paris à l’hiver 1956 pour étudier le théâtre, mais est rappelée en 1957 pour rejoindre une troupe professionnelle israélienne nouvellement fondée, Bazal Yarok (Oignon vert), composée d’anciens collègues du groupe Nahal. Elle y joue de nouveau un rôle remarquable en tant que soliste. Certaines chansons de la troupe sont devenues des succès populaires.
Carrière d’interprète
En 1958, la famille Hendel s’installe à Tel-Aviv. La même année, avec le chanteur-guitariste Menachem (Ran) Eliran, ils fondent le duo Ran and Nama, qui connaît un succès immédiat. Le duo interprète des chansons commandées et des adaptations de chansons israéliennes célèbres. Ils sont engagés aux États-Unis pour l’émission télévisée d’Ed Sullivan mettant en vedette de jeunes talents israéliens. Après cette émission, le duo reste un an et demi aux États-Unis, se produisant dans des clubs, des concerts et des studios d’enregistrement. Durant cette période (1959), Nechama se familiarise avec la scène dynamique du renouveau folk américain.
Deux chanteuses folk éminentes l’impressionnent et l’influencent particulièrement : Odetta, rencontrée au club folk The Gate of Horn à Chicago, et Joan Baez, avec laquelle elle se produit au club new-yorkais The Village Gate. Tout au long de sa vie, Hendel éprouve un profond respect pour ces chanteuses. Elle a raconté son expérience dans une lettre à un ami :
L’atmosphère à New York était merveilleusement enthousiaste, mais ma vie a alors commencé à changer. Soudain, je suis tombée malade et, insatisfaite de mon travail, j’ai décidé de retourner en Israël…
De retour chez elle, elle commence à développer sa propre carrière de chanteuse soliste, acquérant rapidement une place de choix parmi les artistes israéliens et remportant un vif succès auprès du public. De 1960 à 1961, elle suit des cours particuliers de solfège auprès de l’éminent compositeur israélien Yeheskiel Braun (né en 1922) et se forme au chant pendant de nombreuses années auprès de divers professeurs. Elle joue comme actrice et chanteuse dans des films (La Colonne de Feu, 1959), des pièces de théâtre et des comédies musicales, comme Le Roi et moi et My Fair Lady, et consacre beaucoup de temps à la collecte et à l’étude de chants juifs en ladino et en yiddish, de chants hébreux anciens oubliés et négligés, ainsi que de chants folkloriques des différents pays qu’elle a visités.
Nombre de ses chansons furent redécouvertes et devinrent populaires grâce à ses performances. Pendant deux ans (1960-1962), elle participe régulièrement, en tant que commentatrice, rédactrice et interprète, à l’émission radiophonique hebdomadaire « Les Chants des Nations ». Durant ces années, elle effectue des tournées à l’étranger, partout acclamée. Son album, entièrement consacré aux paroles du poète national Hayyim Nahman Bialik, sur des airs folkloriques et des mélodies composées, constitua une réussite remarquable. Décrit par la presse comme « l’un des meilleurs disques jamais enregistrés en Israël », certaines de ses chansons, comme « Hakhnisini Tahat Kenafekh » (Prends-moi sous ton aile) et « Yesh Li Gan » (J’ai un jardin), connaissent un vif succès.
La production de cet album marque un tournant dans la carrière de Nechama; elle s’impose non seulement comme chanteuse folk, mais aussi comme collectionneuse passionnée. Chanter devint enfin son unique occupation. En 1964, elle remporte le premier prix et la médaille d’or du concours de chant folklorique du Festival international de la jeunesse démocratique d’Helsinki. Cette victoire est d’autant plus triomphale qu’elle chante en hébreu. Parmi ses chansons phares, on peut citer « Ani Ma’amin » (Je crois), sur des paroles du grand poète hébreu Saul Tchernichowsky, sur un air traditionnel.
Mariage, collaboration et succès internationaux
Malgré sa réussite professionnelle, elle souffre de dépression et d’anxiété et éprouve parfois des difficultés à exercer son métier. En 1964, elle rencontre un jeune guitariste allemand, Leonard (Anatole) Regnier (né en 1945), petit-fils du dramaturge allemand Frank Wedekind (1864-1918), dont les œuvres furent boycottées par l’Allemagne nazie. Regnier était venu en Israël comme volontaire.
Leur amour et sa collaboration avec Regnier lors de concerts et d’enregistrements sont réparateurs. En juin 1965, Hendel se rend à Paris avec une troupe d’artistes israéliens pour se produire en soliste au célèbre Olympia. Leur engagement de deux semaines rencontre un succès exceptionnel. Lors de ce séjour à Paris, de vieux amis américains lui présentent la Fraternité Spirituelle Internationale de Subud, dont l’objectif principal est de contribuer à faire du monde un endroit meilleur, plus sûr, plus humain et plus harmonieux, par la vénération de Dieu Tout-Puissant. Sa décision de rejoindre Subud est une étape importante dans sa vie. Elle devient une pionnière du mouvement en Israël et en restera une membre active et dévouée jusqu’à la fin de sa vie. Au sommet de sa popularité en tant que chanteuse, elle change officiellement son prénom en Helena. En mai 1967, quelques jours avant la guerre des Six Jours, elle rentre en Israël après une tournée européenne. Pendant la guerre, elle se produit de multiples fois devant les troupes israéliennes, parfois au péril de sa vie sur le champ de bataille. Après la guerre, elle se produit dans tout Israël et inaugure la salle de concert du nouveau Théâtre Khan à Jérusalem. À cette époque, elle devient une amie et une collègue dévouée de la jeune chanteuse folklorique israélienne Shuly Nathan, interprète originale de la chanson « Jerusalem of Gold » de Naomi Shemer, et elles commencent à collaborer lors de concerts. Une soirée inoubliable, « Songs of Jerusalem », affiche complet en juin 1968 au Khan, avec le Premier ministre de l’époque, Levi Eshkol, et son épouse Miriam, invités surprises dans le public.
En octobre 1968, Hendel est invitée à la radio en Suisse et en Allemagne et, au printemps 1969, elle épouse Leonard Regnier. Le couple s’installe en Allemagne de l’Ouest, où Nechama se consacre de plus en plus à sa famille et à Subud. Leur fille Dilia (née en 1970) et leur fils Michael (né en 1972) naissent en Allemagne. Le mariage de Nechama avec un non-Juif, son installation en Allemagne et son changement de nom sont trop durs pour la presse et le public israéliens, qui y voient une véritable « trahison ». Sa popularité chute. Elle continue à se produire et se rend même en Israël au printemps 1973 et à l’automne 1979, donnant des concerts et enregistrant des disques avec son mari et le flûtiste Peter Schiffers. Le trio est bien accueilli par le public.
En 1984, la famille s’installe en Australie, d’abord à Perth, puis à Sydney. Hendel y devint chanteuse, directrice de chœur et organisatrice de concerts. Leonard l’accompagne et lui enseigne la musique.
Hendel conservera sa citoyenneté israélienne, observera le sabbat et les fêtes juives chez elle et entretiendra de bonnes relations avec les communautés juives locales. Mais, malheureuse et agitée, elle décide de retourner en Israël. Ce déménagement, en 1994, a pour conséquence une famille dispersée : Leonard vit et travaille principalement en Allemagne. Hendel, quant à elle, achete un appartement confortable à Kefar Sava, près de Tel-Aviv. Sur le plan professionnel, elle tente de faire son retour, principalement avec de nouvelles chansons. Malgré sa santé fragile, elle donne de nombreux concerts et renoue avec Shuly Nathan, qui se révéle une partenaire et une compagne précieuse. Toutes deux se produisent souvent en concert et reçoivent un accueil chaleureux du public et de certains critiques. La tentative d’Hendel avec de nouvelles chansons est une déception. À cette époque, elle tente d’éviter l’approche nostalgique des vieilles chansons qu’elle avait popularisées dans sa jeunesse. Un nouveau CD, « Outside the Storm », comprend onze chansons hébraïques contemporaines, certaines écrites et composées par elle-même, toutes accompagnées d’arrangements instrumentaux spécialement conçus. Mais, à sa grande surprise, le public et les médias ne s’intéressèrent pas à ce disque. Cet accueil est un coup dur, car elle avait une grande confiance en ce recueil. Le chant et la reconnaissance publique étaient sa force vitale et son inspiration en tant qu’artiste. Elle tente de se concentrer davantage sur la composition de mélodies sur des paroles de poètes israéliens qu’elle apprécie, tels que Lea Goldberg et Dalia Ravikovitch.
Héritage
Subud sont d’un grand réconfort durant ses dernières années, marquées par une longue maladie grave. À la veille de Yom Kippour 1998, Nechama s’éteint à l’âge de soixante-deux ans, laissant derrière elle des projets artistiques inachevés. Elle n’obtiendra jamais la reconnaissance nationale officielle que méritaient dans son pays natal son talent et sa contribution au développement du chant hébreu et de la culture israélienne. L’establishment israélien ne la reconnut jamais comme un atout national méritant une reconnaissance sans réserve.
En tant que chanteuse, l’art de Hendel alliait une voix de soprano puissante, un phrasé clair et une expression dynamique à une obsession absolue de la perfection. Son chant reflétait des qualités humaines fondamentales telles que l’honnêteté, la simplicité naturelle, l’intégrité et la franchise. Les nombreux enregistrements de Hendel, réalisés pour la plupart au début de sa carrière, sont conservés dans les archives de l’Autorité de radiodiffusion israélienne et sur des albums commerciaux. Ils demeurent un trésor du chant folklorique israélien.
(Source: Yisrael Daliot – JWA)
22 août 1936. Naissanceà Jérusalem de Nechama Hendel, éminente interprète de folklores juifs, une des chanteuses israéliennes les plus importantes.
