1er octobre 1920. Naissance de Walter Matthau, un des grands seconds rôles du cinéma américain, enfant du Lower East Side et héritier du théâtre yiddish.

Walter Matthau naît le 1ᵉʳ octobre 1920 dans le Lower East Side de New York, quartier alors saturé de langues, d’odeurs et de musiques venues d’Europe orientale. Son père, Milton Matthow, immigré russe, est électricien ; sa mère, Rose Berolsky, lituanienne, tient un petit commerce. À la maison, on parle anglais mais aussi yiddish, langue de l’intimité et de l’humour. Dans ces rues, la 2ᵉ Avenue est encore « le Broadway yiddish » : boulangeries kasher, synagogues, cafés-concerts, théâtres populaires.

Enfant curieux, Walter vend des glaces et des sodas dans les salles du théâtre yiddish, et s’assoit parfois au fond pour observer les acteurs. Dans une interview donnée bien plus tard, il se souvient : « I worked selling ice cream and cherry drinks in the Yiddish-speaking theater on 2nd Avenue in Manhattan. And I was entranced by the actors on stage… » Ce contact direct avec les comédiens lui révèle le pouvoir du silence comique, du geste abrupt, de l’intonation ironique. Il prétend même avoir tenu un petit rôle musical dans Der Dishvasher (The Dishwasher), une comédie musicale yiddish. À travers ces expériences, il absorbe les codes d’un théâtre où la répartie se mêle à l’autodérision et où l’anglais se parseme d’expressions yiddish, donnant naissance à ce rythme verbal new-yorkais qui deviendra sa signature.

Après avoir servi comme mitrailleur radio dans l’U.S. Army Air Forces pendant la Seconde Guerre mondiale, Matthau revient aux États-Unis et suit les cours de l’Actors Studio. Mais il garde l’accent traînant et les inflexions héritées de la 2ᵉ Avenue. Sur Broadway, il joue d’abord des rôles d’hommes durs, puis bifurque vers la comédie, trouvant son génie dans le mélange de sarcasme et de tendresse typique de l’humour ashkénaze.

En 1966, The Fortune Cookie de Billy Wilder — un autre exilé juif d’Europe centrale — lui offre un personnage d’avocat retors qui exploite les accidents d’autrui. Derrière l’avidité caricaturale affleure une humanité familière, celle des récits yiddish où le petit malin se frotte au destin. L’Oscar du meilleur second rôle récompense cette première incarnation du « grincheux tendre » qui deviendra sa marque.

Dans The Odd Couple (1968), adapté de Neil Simon, la filiation avec la comédie yiddish est explicite : deux hommes incompatibles partagent un appartement, se chamaillent, se réconcilient. Matthau joue Oscar Madison, désordonné et généreux, archétype du nebech attachant. Jack Lemmon incarne son exact opposé : maniaque et coincé. Comme dans les vieux duos de la scène yiddish, l’un est le comique au phrasé traînant, l’autre le straight man crispé.

La suite de sa carrière prolonge cette veine : Cactus Flower (1969), Kotch (1971), The Front Page (1974) et surtout The Sunshine Boys (1975). Ce dernier film, inspiré du vaudeville juif new-yorkais, est presque une mise en abyme : Matthau y joue un vieux comique cabossé, héritier direct des Smith & Dale et autres figures mythiques de la 2ᵉ Avenue. Gestuelle, accent, rythme — tout y résonne comme une mémoire de son enfance.

Même dans ses thrillers (Charlie Varrick, The Taking of Pelham One Two Three), Matthau conserve son ironie et son art de l’understatement, fruit d’une tradition où l’on désamorce la tragédie par une réplique. Dans les années 1990, Grumpy Old Men et sa suite le consacrent comme figure universelle du vieil homme râleur au cœur tendre, quintessence du comique ashkénaze devenu mythe hollywoodien.

Dans les talk-shows et les interviews, il lâche parfois quelques mots de yiddish mêlés à l’anglais, clin d’œil à ses origines et aux spectateurs du Lower East Side. Cette gouaille bilingue, qu’il manie plus en privé qu’à l’écran, est le souvenir vivant d’un monde où la frontière entre les langues était poreuse.

Marié deux fois, père de trois enfants, Matthau reste attaché aux causes communautaires juives et aux arts populaires. Il meurt le 1ᵉʳ juillet 2000 à Santa Monica, moins d’un an avant son ami Jack Lemmon, scellant la fin d’un duo qui fut la transposition moderne des vieux couples comiques yiddish.

Son héritage est celui d’un passeur. Dans ses films, derrière l’anglais des dialogues, on entend toujours l’écho du yiddish de son enfance. L’art du haussement d’épaules, du sourire en coin, de la pause comique vient tout droit du théâtre populaire juif. Walter Matthau incarne cette continuité : l’enfant du Lower East Side devenu star hollywoodienne sans jamais renier l’accent, l’humour ni l’humanité de ses origines.