8 septembre 1898. Naissance de Ben Gold, futur leader syndicaliste et écrivain yiddish.

Ben Gold naît en 1898 en Bessarabie, dans une petite bourgade marquée par la pauvreté juive et les pogroms. Quand il arrive à New York en 1910, c’est un adolescent jeté dans le tumulte de l’East Side : les ateliers de fourrure, les logements insalubres, l’odeur âcre du travail mal payé. Très tôt, il entre dans l’atelier et, dès quatorze ans, dans le syndicat des fourreurs. C’est là qu’il apprend le yiddish des ouvriers et l’anglais des contremaîtres, et qu’il découvre la politique.

Dans les années 1920, Gold devient l’orateur flamboyant des fourreurs en grève. Sa voix tonitruante en yiddish rassemble des milliers d’ouvriers sur Union Square. Il croit à la force du collectif, mais il est aussi prisonnier des directives du Parti communiste.

Lorsque Moscou impose la ligne « sectaire » des syndicats rouges, Gold suit — alors même qu’il sait que ses camarades ouvriers réclament avant tout l’unité.
Lorsque survient le pacte germano-soviétique (1939), il se retrouve face à l’impensable : justifier la neutralité vis-à-vis d’Hitler devant des ouvriers juifs dont les familles sont menacées en Europe. Son attachement au Parti le pousse à défendre l’indéfendable, au prix d’une fracture avec sa base.

Mais à chaque virage stratégique, il garde la posture du meneur. En 1941, dès que l’URSS est envahie, il se jette dans le soutien à l’effort de guerre américain, encourageant l’achat d’obligations de guerre et acceptant les heures supplémentaires. Ses collègues comprennent alors que son radicalisme est indissociable d’un pragmatisme syndical qui lui permet d’obtenir des victoires concrètes.

Parallèlement au syndicalisme, Gold écrit en yiddish. Ses récits mettent en scène les ouvriers juifs immigrés, les vies cassées par l’atelier, les solidarités forgées dans la lutte.
Dans son roman Avreml Broide, di lebns-geshikhte fun an arbeter (1944), Gold raconte la vie d’Avreml, un jeune immigré qui, comme lui, devient ouvrier dans la fourrure. On y retrouve les grèves de l’East Side, les discours enflammés, les discussions dans les cuisines collectives. Mais le récit ne se limite pas à la propagande : Gold décrit aussi la fatigue, les doutes, les amitiés fragiles.
Dans Mentshn, dertseylungen (1948), un recueil de nouvelles sur des figures ouvrières, Gold campe des personnages modestes, parfois anonymes, qui révèlent la dignité cachée du travailleur : un tailleur malade qui continue à coudre pour nourrir ses enfants, une ouvrière qui apporte du thé brûlant aux piquets de grève, un vieux syndicaliste qui, à la fin de sa vie, se demande si les sacrifices ont valu la peine.
Dans Der shturem in Rivervil (1972), roman plus tardif, où Gold recompose, sous une forme semi-fictive, l’atmosphère des grandes grèves, Rivervil est une petite ville imaginaire, mais elle ressemble fort à l’East Side new-yorkais. Là, les ouvriers s’organisent, affrontent patrons et policiers, et rêvent d’un monde nouveau. L’écriture, plus apaisée, montre un Gold vieilli qui cherche moins à convaincre qu’à transmettre une mémoire.

Ce qui frappe dans ses livres, c’est la tension entre le militant et l’écrivain.
– Le militant veut montrer la voie, dénoncer les exploiteurs, glorifier l’unité.
– L’écrivain, lui, laisse transparaître les failles : la pauvreté, la solitude, les désillusions.

Dans Avreml Broide, par exemple, l’idéal ouvrier est toujours menacé par la fatigue, par les querelles internes, par la peur de perdre son emploi. Gold y glisse ce que l’orateur sur la tribune n’aurait jamais avoué : que les héros ouvriers sont aussi des êtres vulnérables.
En voici un court extrait:

אין דער זאַל האָט מען געזעסן צענדליקער אַרבעטער, מיט פֿאַרביסענע פּנים און אויסגעמאַטערטע אויגן. דער רויטער ליכט פֿון אַ לאַמפע האָט געפֿאַלן אויף זייערע הענט — צעפֿליקט פֿון שירע און נעבעך־נעבעך צעשוואָלן.
אַװרעמל האָט געהערט, װי איינער רעדט פֿון נײַע כּוחות, פֿון ברידערשאַפֿט און נצחון. מענטשן האָבן געקלאַפּט אין טיש, געשריגן „יאָ, מיר קענען!“ אָבער אין דער הינטערשטע ריי האָט ער געזען אַ פֿרוי, וואָס האָט שטיל געווישט טרערן, װײַל זי האָט געדאַכט פֿון די קינדער אינדערהיים אָן ברויט.
און דאָ האָט ער פֿאַרשטאַנען: די גרעסטע שטאַרקייט פֿון די אַרבעטער ליגט נישט נאָר אין זײערע רייד, נאָר אין דער לאַטערנע האָפֿענונג, וואָס בלײַבט לײַכטיק אַפֿילו אין טרערן.



In der zal hot men gezesn tsendleker arbeter, mit farbisene ponim un oysgematerte oygn. Der royter likht fun a lampe hot gefaln af zeyere hent — tseflikt fun shire un nebekh-nebekh tseshvoln.
Avremel hot gehert, vi eyn-er redt fun naye koykhes, fun bridershaft un nitsokhn. Mentshn hobn geklapt in tish, geshrign “Yo, mir kenen!” Ober in der hintershte rey hot er gezen a froy, vos hot shtil gevishn trern, vayl zi hot gedacht fun di kinder inderheym on broyt.
Un do hot er farsh tandn: di greste shtarkeyt fun di arbeter ligt nisht nor in zeyere reyd, nor in der laterne-hofnung, vos blaybt laykhtik afilu in trern.


Dans la salle étaient assis des dizaines d’ouvriers, au visage crispé, les yeux fatigués. La lumière rouge d’une lampe tombait sur leurs mains — écorchées par les ciseaux et misérablement enflées.
Avreml entendait quelqu’un parler de forces nouvelles, de fraternité et de victoire. On frappait sur les tables, on criait : « Oui, nous pouvons ! » Mais, au dernier rang, il vit une femme qui essuyait silencieusement ses larmes, pensant à ses enfants restés sans pain à la maison.
Et c’est là qu’il comprit : la plus grande force des ouvriers ne réside pas seulement dans leurs discours, mais dans cette lanterne d’espérance qui continue de briller, même au milieu des larmes.

Après sa démission du syndicat en 1954, usé par l’anticommunisme, Gold se consacre davantage à l’écriture. Ses mémoires en anglais (1984) racontent les combats, mais c’est en yiddish qu’il avait livré l’essentiel : le roman d’une génération d’ouvriers juifs pour qui le syndicat était une famille et la grève une fête aussi bien qu’une souffrance.