7 novembre 1938. Herschel Grynszpan abat le conseiller d’ambassade de Berlin à Paris, Ernst vom Rath.

Après 1933, le régime nazi met progressivement en œuvre une politique d’exclusion des Juifs en Allemagne. En 1933, des lois professionnelles les écartent de la fonction publique, de l’enseignement et de la magistrature. En 1935, les lois de Nuremberg leur retirent la citoyenneté allemande et interdisent les mariages entre Juifs et non-Juifs. Entre 1936 et 1938, ces mesures sont étendues : restrictions scolaires et universitaires, interdictions d’exercice élargies, « aryanisation » forcée des entreprises. À l’automne 1938, les Juifs d’Allemagne sont relégués dans une position fragile sur les plans civil, économique et social.
La situation des Juifs de nationalité polonaise vivant en Allemagne prend alors une importance particulière. Beaucoup d’entre eux se sont installés en Allemagne avant la Première Guerre mondiale, dans le cadre de migrations économiques depuis les régions polonaises de l’ancien empire russe. C’est le cas de la famille Grynszpan, originaire de la région de Radomsko, qui s’établit à Hanovre probablement entre 1911 et 1914. Les parents, Zindel et Rywka Grynszpan, y tiennent de petits commerces et y élèvent leurs enfants. Herschel naît à Hanovre en 1921, ce qui atteste d’un enracinement ancien en Allemagne.
Dans la Seconde République polonaise, la minorité juive représente environ 10 % de la population. À partir du milieu des années 1930, des courants nationalistes influencent la politique intérieure en soutenant l’idée que la « question juive » doit être résolue par la réduction numérique de la population juive. L’émigration est présentée comme voie privilégiée. Des projets sont étudiés vers la Palestine, Madagascar ou certaines colonies d’Afrique orientale. Ces politiques ne visent pas l’intégration des Juifs dans la nation polonaise, mais au contraire la diminution progressive de leur présence.
Dans ce cadre, le gouvernement polonais redoute le retour en masse de Juifs polonais résidant en Allemagne. Le 31 mars 1938, il adopte une loi permettant de retirer la nationalité à ses citoyens à l’étranger si leur passeport n’est pas renouvelé avant une date donnée. En réponse, l’Allemagne décide d’agir. Le 26 octobre 1938, environ 17 000 Juifs polonais sont expulsés.
C’est à Zbąszyń que la situation se bloque : la Pologne refuse l’entrée à ceux dont les papiers ne sont pas validés, l’Allemagne refuse de les reprendre. Les expulsés se retrouvent dans une zone d’attente improvisée, dépendant de secours communautaires. La famille Grynszpan est parmi eux.
À Paris, leur fils Herschel, âgé de dix-sept ans, apprend leur situation. Le 7 novembre 1938, il achète un revolver et se rend à l’ambassade d’Allemagne, boulevard Haussmann. Il est introduit auprès d’Ernst vom Rath, conseiller d’ambassade âgé de vingt-neuf ans. Après un bref échange, Grynszpan sort l’arme et tire cinq coups. Deux balles atteignent vom Rath. Grynszpan est arrêté immédiatement. Il déclare avoir agi en protestation contre le traitement infligé aux Juifs.
Vom Rath est transporté à l’hôpital de la Pitié, où il meurt le 9 novembre 1938.
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En Allemagne, l’attentat est immédiatement présenté par la presse officielle comme une attaque politique attribuée non à un individu, mais au « judaïsme international ». Le Völkischer Beobachter, l’organe du parti nazi, insiste sur l’origine juive du tireur et sur son statut de « parasite étranger », effaçant volontairement le fait que la famille est installée en Allemagne depuis près de trente ans. Les services de propagande mettent l’accent sur l’idée d’une « agression contre l’Allemagne dans son ensemble ».
En France, les journaux rapportent l’attentat dans les termes de la rubrique diplomatique et judiciaire : un acte individuel, lié à la détresse d’un jeune homme face au traitement de sa famille. La presse modérée et de gauche insiste sur le rôle déclencheur de Zbąszyń ; la presse de droite reste plus réservée. Le gouvernement français exprime officiellement « regret et sympathie » pour la victime, tout en soulignant qu’il s’agit d’un acte isolé.
À l’international, l’événement est perçu comme le symptôme d’une situation européenne qui se détériore. Les journaux britanniques et américains soulignent la détresse des réfugiés juifs bloqués aux frontières. Certaines rédactions publient des télégrammes d’agences juives internationales mentionnant Zbąszyń. Cependant, aucun gouvernement étranger ne passe à une démarche diplomatique ou humanitaire d’ampleur. Le sujet est reconnu, mais sans entraîner d’action.
L’instruction se poursuit en France jusqu’en 1940. Après la défaite, Grynszpan est transféré aux autorités allemandes. Un procès à finalité propagandiste est envisagé puis abandonné. Sa fin demeure inconnue.
L’hypothèse ultérieure d’une relation homosexuelle entre Grynszpan et vom Rath ne repose sur aucune source contemporaine solide et doit être considérée comme non démontrée.
L’attentat du 7 novembre 1938 apparaît ainsi comme un acte individuel, résultant d’une chaîne clairement identifiable : exclusion progressive des Juifs en Allemagne, politique polonaise visant à réduire la présence juive, expulsion forcée de milliers de civils vers Zbąszyń, situation de blocage prolongée à la frontière, puis réaction isolée d’un adolescent.
La mort de vom Rath, survenue le 9 novembre 1938, fournit alors au régime nazi l’occasion d’un changement d’échelle. Dans la soirée et la nuit qui suivent, la direction du parti transforme un attentat individuel en argument d’agitation politique. Des consignes orales circulent, la police et les services de sécurité reçoivent instruction de ne pas intervenir contre d’éventuelles « réactions populaires ». Ce moment marque le passage d’une politique d’exclusion juridique à une phase de violence ouverte. Ce sera la tristement fameuse « Nuit de Cristal », plus justement appelée aujourd’hui en Allemagne « Pogrom de Novembre ».