Adrienne Cooper naît le 1ᵉʳ septembre 1946 à Oakland, en Californie, dans une Amérique d’après-guerre où le yiddish semble déjà relégué au rang des langues du passé. Pourtant, chez elle, cette langue vit encore : sa mère chante en yiddish et en hébreu, transmettant sans le savoir un héritage qui deviendra pour sa fille une vocation.
Très tôt, Adrienne comprend que le yiddish n’est pas seulement une langue : c’est une mémoire incarnée, un chant chargé d’exil, de luttes sociales, d’humour et de douleur. Elle étudie l’histoire, séjourne en Israël, puis revient aux États-Unis avec une conviction : la culture juive ashkénaze ne doit pas être muséifiée, mais vécue. Elle se forme au YIVO Institute for Jewish Research, lieu-phare de la transmission savante et populaire du yiddish.
La scène comme lieu de résistance
Adrienne Cooper devient l’une des grandes voix du renouveau yiddish à partir des années 1980-1990. Sa manière de chanter frappe : une voix grave, directe, chaleureuse, jamais décorative. Elle chante les berceuses, les chants ouvriers, les complaintes d’amour et de révolte avec une intensité qui refuse la nostalgie molle. Chez elle, le yiddish n’est pas un souvenir : c’est une langue du présent.
Elle se produit sur les plus grandes scènes internationales, du Carnegie Hall de New-York au Concertgebouw d’Amsterdam, et collabore avec les acteurs majeurs du renouveau klezmer, notamment The Klezmatics, mais aussi David Krakauer, Zalmen Mlotek ou Alicia Svigals. Son art circule entre le concert, le théâtre et la transmission pédagogique.
Transmettre, toujours
Adrienne Cooper est aussi une passeuse infatigable. Elle cofonde KlezKamp, véritable laboratoire où se forment plusieurs générations de musiciens, chanteurs et enseignants. Elle enseigne dans de nombreux festivals, notamment au Yiddish Summer Weimar, convaincue que la culture yiddish peut et doit dialoguer avec l’Europe contemporaine, y compris sur le sol allemand.
Son engagement dépasse la musique. Elle travaille pour le Workmen’s Circle, organisation historique du judaïsme ouvrier, et s’investit dans des causes de justice sociale, raciale et économique, fidèle à la tradition progressiste du yiddishland.
Une vie personnelle en harmonie
Adrienne partage sa vie avec la pianiste et compositrice Marilyn Lerner, partenaire artistique et affective. Ensemble, elles incarnent une vision du yiddish ouverte, inclusive, féministe. Elle est également la mère de Sarah Mina Gordon, chanteuse, preuve vivante de cette transmission qu’elle n’a jamais cessé de défendre.
La fin, et ce qui demeure
En juillet 2011, un cancer rare des glandes surrénales est diagnostiqué. La fin est tragiquement brutale. Adrienne Cooper meurt le 25 décembre 2011 à New York. Sa disparition laisse un vide immense dans le monde yiddish, mais aussi une énergie intacte. En son nom est créé le Adrienne Cooper Fund for Dreaming in Yiddish, qui soutient chaque année des projets innovants en langue yiddish.
Héritage
Adrienne Cooper n’a pas seulement chanté le yiddish. Elle l’a réarmé, moralement et politiquement. Elle a montré qu’une langue presque assassinée pouvait encore porter la joie, la colère, la tendresse et l’avenir. Sa voix continue de dire, à chaque génération : le yiddish n’est pas fini tant qu’on le chante, tant qu’on le vit, tant qu’on le transmet.
Les enregistrements : une voix fixée sans être figée
Les enregistrements d’Adrienne Cooper ne cherchent jamais à enfermer le yiddish dans le formol de l’archive. Ils sont des actes, non des reliques.
Son premier album solo, Dreaming in Yiddish (1998), pose d’emblée le programme : un yiddish vivant, personnel, assumé, porté par une voix grave qui parle autant qu’elle chante.
Avec Ghetto Tango (2000), elle explore les tensions entre mémoire, désir et modernité, mêlant chansons traditionnelles et compositions nouvelles, sans jamais céder au pittoresque.
Avec Ghetto Tango (2000), elle explore les tensions entre mémoire, désir et modernité, mêlant chansons traditionnelles et compositions nouvelles, sans jamais céder au pittoresque.
Dans Enchanted (2006), la maturité est totale : la voix s’épure, la diction se fait presque confidentielle, comme si chaque chanson était adressée à un interlocuteur unique.
Parallèlement à ces albums personnels, Adrienne Cooper prête sa voix à de nombreux projets collectifs, notamment avec The Klezmatics, où elle incarne un yiddish urbain, engagé, traversé par les luttes contemporaines.
Ces disques ne sont pas des monuments figés : ce sont des outils de transmission, des lieux où le yiddish continue de circuler, de respirer et de se réinventer.
